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Togo / Harcèlement en milieu hospitalier : Soulevez un peu la blouse!
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3 ans depuissur
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Admin 3Pour l’opinion, c’est le secrétaire général du Syndicat national des praticiens hospitaliers du Togo (SYNPHOT) qui a révélé ce qui a été jusque-là un secret bien gardé au sein des praticiens hospitaliers et même parmi les étudiants en sciences de la santé du Togo. Dans un tweet en date du 8 février 2022, Dr Gilbert Senyo Tsolenyanu alerte sur la recrudescence des cas d’harcèlement en milieu hospitalier et universitaire. Il faut briser le silence et protéger les femmes, s’indignait-il. « Un mal ronge notre système de santé.
Nous avons reçu plusieurs plaintes : des étudiantes en médecine, élèves infirmières, sages-femmes et femmes agents de santé se plaignent de harcèlement et de violence. Certaines disent qu’elles ont même été violées… », s’indigne le responsable syndical. Juste après cette alerte, la rédaction de Togo Scoop Info a mené une petite enquête sur le sujet. Quel est l’ampleur du phénomène du harcèlement en milieu hospitalier et universitaire au Togo ? Éclairage !
« Il y a le harcèlement partout ». Cette déclaration de Judith, étudiante à l’Ecole nationale des affaires sociales de l’Université de Lomé résume à elle seule la situation alarmante à laquelle sont confrontées les employées et les étudiantes des centres de santé et universités du Togo.
Il y a deux ans, au Bénin, à l’initiative d’Angela Kpeidja, journaliste à l’ORTB, les consœurs béninoises ont exprimé leur ras-le-bol du harcèlement sexuel dans le milieu de la presse. Elles ont alors lancé la campagne #N’aiepaspeur. Les témoignages qui s’en sont suivis ont été touchants au point qu’elles sont parvenues au président Patrice Talon qui a ouvertement condamné ces pratiques promettant des sanctions. Cependant, le harcèlement n’est pas uniquement l’apanage du secteur de la presse, encore moins du secteur hospitalier. Il est partout ! Le harcèlement est omniprésent, que ce soit sur les réseaux sociaux, dans la rue, à la TV, dans les journaux. Il se définit comme « tout comportement non désiré à connotation sexuelle ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Il peut être tant physique que verbal.
L’HOPITAL, UN LIEU PROPICE AU HARCELEMENT
L’hôpital est un milieu propice à des attitudes malsaines. Il est sans doute le lieu où le harcèlement est le plus présent au vu du contexte : une majorité de femmes qui font face à une majorité d’hommes qui, pour la plupart sont leurs supérieurs hiérarchiques. Au bloc ou dans la salle de garde, les femmes côtoient le plus souvent des hommes. Dans ce cadre de la vulnérabilité de l’être, les acteurs ont parfois du mal à faire la démarcation entre la plaisanterie et le harcèlement.
« Quand j’étais au CHU Sylvanus Olympio, à plusieurs reprises, j’en ai été victime : une main baladeuse sur les fesses; le pire et le plus choquant c’est des attouchements au niveau des seins. Ce sont des gestes obscènes venant des collègues que certains d’entre nous n’acceptons pas », témoigne Rose une infirmière. Considérée comme une violence basée sur le genre, la majorité des filles et mêmes des femmes subissent le harcèlement dans les structures sanitaires du Togo. Il prend de l’ampleur selon plusieurs témoignages en raison notamment de l’extrême jeunesse aujourd’hui des médecins ou futurs médecins. Le plus souvent, c’est pendant la période de stage qu’on note plus le phénomène. Il y a quelques années se rappelle Sidonie, une jeune pharmacienne, elle était envoyée dans un hôpital de la place.
«Au premier jour, le chef personnel a pris mon contact dans son bureau. Et au fur et à mesure que se poursuivait mon stage, chaque jour, il ne faisait que m’appeler dans son bureau pour des discussions dont je ne comprenais même pas le sens. Un jour, il a franchi le Rubicon en demandant que je lui fasse une bise. Ma réponse ferme et sans équivoque a été: Non ! Il a demandé la raison de mon refus. Je lui ai fait savoir que je ne suis pas de ce genre de filles. Malgré mon refus, il ne semblait pas vaincu. Il continuait de plus belle au point où un jour, il a failli me violer littéralement en me demandant de soulever un peu ma blouse.
Il a néanmoins par force fait une bise à mon front », relate la jeune dame aujourd’hui docteur en pharmacie qui avoue ne pas comprendre comment des personnes responsables puissent se laisser aller sans pudeur à des gestes de bassesse répréhensibles vis-à-vis des personnes dont elles ont la charge et de surcroit qui peuvent être leurs sœurs et au pire des cas leurs filles. Toujours dans le cadre de ses stages, Akpené, sage-femme, a été déployée dans un hôpital de la région des Plateaux. Elle en a gardé une mauvaise image.
«Dès qu’on m’a présentée au personnel, tout le monde me touche, me tapote comme je suis devenue leur objet sexuel. Entre eux ils se passent des mots à mon sujet. Si advenait que vous vous entendez bien avec l’un d’entre eux ou que vous acceptiez son avance, il ira raconter tout aux autres pour qu’ils viennent faire autant», relate la jeune dame.
En milieu académique ou estudiantin, le harcèlement est également présent. Il se manifeste dans la cour de l’école, dans les amphis, au secrétariat, dans le bureau du directeur, …
Il peut être physique ou virtuel. Dans le premier cas, c’est le supérieur hiérarchique qui vient voir dans la salle d’étude l’étudiante ou qui demande à la voir dans son bureau. Dans tous les cas, la finalité c’est faire passer son message voilé : il éprouve quelque chose pour vous. « Vous imaginez votre professeur qui vous appelle à son bureau. Sans y réfléchir, on court pour y aller », note Ghislaine une étudiante en médecine.
Dans le second cas, le plus souvent c’est le délégué de la faculté ou de classe qui sert d’intermédiaire. Le professeur lui demande le contact de l’étudiante désirée et commence alors des séances de harcèlement.
Dans l’un comme dans l’autre cas, commencent alors des échanges et il s’en suit une pression pas possible sur l’étudiante qui ne peut pas regarder en face ou raccrocher si possible le téléphone au nez de son supérieur hiérarchique.
«La prise de contact débouche sur des attouchements, des gestes obscènes. On vous touche à des endroits inappropriés; vous ne pouvez pas réagir; vous dites que c’est votre supérieur et vous le regardez-vous souiller, bafouer votre dignité sans possibilité de pouvoir bouger», s’indigne Ghislaine.
«J’ai été victime de harcèlement. En tant que fille surtout de teint clair, ce n’est pas évident de s’en échapper parce que comme on dit tout ce qui brille attire. Chacun cherche à se rapprocher de toi. Je la vis et je l’ai vécu dans mon école et au cours de nos stages hospitaliers, mais aussi dans un environnement étranger où on nous nous déplacions loin de notre milieu pour aller passer tout un mois pour un stage d’imprégnation», admet pour sa part Micheline.
«A l’école, mon chef département a eu mon numéro à travers notre délégué, c’est de là qu’il m’a contactée et a demandé à ce qu’on se rencontre pour échanger. Depuis ce jour il ne fait que me harceler au téléphone. Un jour, il est venu dans mon quartier et a exigé que je le rencontre. Au cours des discussions, il m’a dit qu’il voulait qu’on sorte ensemble alors qu’il était marié. Pour lui, ce n’était pas du harcèlement mais pour moi si», témoigne Samira, une étudiante à la faculté des sciences de santé.
Le plus souvent les harceleurs promettent aux victimes certains avantages; parfois même ce n’est pas le cas, ils font juste valoir leur position de supériorité. Ils agissent en toute impunité à l’hôpital public. Les personnes qui sont victimes de ces comportements déplacés s’en plaignent rarement. Il est délicat de dénoncer les attitudes de ses pairs notamment celles de ses supérieurs hiérarchiques. Elles ont peur de subir des représailles de ces derniers.
LA LOI DE L’OMERTA
«Vous imaginez toute votre vie, tout votre parcours universitaire ou professionnel est dans la main de cette personne, elle vous intimide, vous menace et très difficile de dénoncer », confie Delphine, employée au CHU SO.
Beaucoup plus au Togo qu’ailleurs la loi du silence entoure cette pratique. Les victimes ne veulent pas en parler. Pour preuve, depuis que le secrétaire général du SYNPHOT a lancé le hashtag #briserlesilence, aucun acteur de la santé n’a osé dénoncer la pratique à visage découvert ou dans l’anonymat et pourtant elle est bien présente.
Source : alome