A priori rien ne ressemble moins à une automobile qu’une fusée atteignant plus de 60 mètres de haut, mais le défi engagé avec la future Ariane 6 est celui d’une véritable chaîne de production en flux.
Vu de l’extérieur, rien ne trahit la destination de l’immense bâtiment aux murs aveugles qui étend sa superficie de trois terrains de football sur le site d’ArianeGroup aux Mureaux, près de Paris. Devant une maquette en Lego de l’usine, son directeur Vincent Lavisse parle «séquences de production» où «tout bouge en même temps». Avec au bout de l’immense «chaîne» en forme de U, un conteneur de 30 mètres de long pour accueillir dans quelques jours le premier exemplaire du premier étage de la fusée.
Du quai voisin, il filera doucement par la Seine jusqu’au port du Havre, puis de là jusqu’à Kourou, pour l’assemblage final d’Ariane 6. Avec un vol inaugural prévu au deuxième trimestre 2022. L’usine a un objectif de cadence maximale de douze unités (étages) par an, deux fois plus rapide que pour les premiers étages d’Ariane 5 dont l’usine se trouve à deux pas. Mais là où cette fabrication est verticale, elle se fait horizontalement pour Ariane 6. «Cela revient moins cher», résume M. Lavisse.
150 tonnes d’hydrogène
Illustration avec le contrôle d’étanchéité du colossal réservoir d’hydrogène liquide, un cylindre d’une quinzaine de mètres de long, qui ne tolère aucune fuite avant un remplissage de 150 tonnes d’hydrogène maintenu à -250 degrés Celsius. On le soumet à un test de pression comme une vulgaire chambre à air. Pour Ariane 5, il faut descendre le réservoir avec un pont roulant dans un puits vertigineux, capable d’encaisser une déflagration si l’étanchéité venait à flancher. Pour Ariane 6, on le roule simplement dans une salle de l’usine, isolée par une porte de 50 tonnes.
Tout est dans la même veine. Là où des hommes collaient à la main des plaques isolantes sur les réservoirs, on y projette maintenant une couche de protection thermique. Les soudures à l’arc des plaques d’alliage d’aluminium pour Ariane 5 sont remplacées par un procédé de «friction-malaxage», effectué avec une machine sur mesure qui les joint «comme deux pâtes à modeler». Plus fiable, moins cher et plus rapide.
«Tous les gains de coût sont dans la façon de faire», résume Mathieu Chaize, ingénieur systèmes d’Ariane 6, en ajoutant qu’ici, «l’enjeu industriel est de créer une culture de flux». Un atout incontournable pour affronter une concurrence toujours plus féroce sur le marché international des lanceurs, Space X en tête. Même scénario dans la «salle blanche» où des ingénieurs, coiffés de charlottes, circulent au pied du moteur principal de la fusée, le Vulcain 2.1. On pourra à terme en intégrer trois en parallèle.
Une nouvelle génération
Ils sont fabriqués à une poignée de kilomètres de là, dans l’usine de Vernon, nichée dans une épaisse forêt des coteaux de Seine, en Normandie. Tout y a été pensé pour accélérer la cadence en facilitant le travail des hommes sur les machines. Un manipulateur 3D, sorte de robot capable de déplacer ses 14 tonnes sur un coussin d’air, tient fermement dans ses bras un Vulcain 2.1 qui pointe lui à plus de deux tonnes. Commandé sur une tablette tactile, il permet d’orienter le moteur sous tous les angles pour en faciliter l’accès.
Dans un grand hall adjacent, c’est déjà l’après Ariane 6 qui se dessine. Avec le projet Themis, un démonstrateur de premier étage de fusée réutilisable, pour assurer la relève à l’horizon 2030. Avec en pièce maîtresse un moteur, Prometheus, dont la première mise à feu interviendra d’ici à la fin de l’année. Réalisé à 70% en impression 3D, avec l’objectif d’un coût dix fois moindre que le Vulcain 2.1, pour une puissance équivalente.
Fait nouveau, cet avenir s’écrit en rassemblant dans un même espace des personnels de toute la chaîne, des concepteurs aux commerciaux en passant par le développement et le montage. Parce que si les machines ont toujours le beau rôle, il revient à une nouvelle génération de leur donner vie. «On a essayé de mettre beaucoup de jeunes, pour qu’ils prennent le pouvoir», explique Emmanuel Edeline, responsable du programme Prometheus, qui cache bien sa soixantaine passée derrière un masque anti-Covid.
Source : Lessentiel.lu