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Sénégal / L’école sénégalaise : 30 ans après la loi d’orientation
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3 ans depuissur
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Admin 1L’éducation, au demeurant l’école, peut être comprise comme le processus d’imprégnation et d’accommodation par lequel les générations les plus expérimentées prennent en charge les jeunes générations pour leur inculquer les valeurs qui participent de leur socialisation.
Dans ce cadre, l’école, une institution sociale est au cœur de cette entreprise de production et de perpétuation de ce que la société a de plus essentiel, la personne.
L’école est en elle même porteuse d’un projet de société. Dans la mesure où, toute société, compte tenu de ses orientations, de ses objectifs, de ses réalités sociopolitiques et économiques, détermine son école et lui assigne des finalités.
Une société en évoluant doit nécessairement adapter son école car elle doit pouvoir anticiper dans le futur, faire des projections afin de mieux répondre aux défis à venir. Une école actuelle mais qui répond aussi aux impératifs de mutations propres à la société du savoir.
Poser la réflexion l’école sénégalaise : 30 ans après la loi d’orientation de 1991, c’est certainement tenter de mesurer le cheminement jusque là emprunté par notre école, mais c’est surtout se demander quel type de sénégalais notre école a eu à former durant ces trente dernières années.
Poser ces questions revient également à jauger a la fois la volonté politique de l’Etat et le degré d’engagement de tous les segments de la société qui forment la communauté éducative, parents d’élèves, élèves, syndicats, leaders religieux etc.
Enfin, ces questions doivent nécessairement être articulées à la problématique de la qualité de l’éducation, à l’efficacité interne et externe de notre système éducatif et aux valeurs auxquelles notre société s’identifie.
Les indépendances offraient l’occasion pour nos Etats de se défaire de l’école coloniale et d’entamer par eux-mêmes et pour eux-mêmes, un début de prise en charge de cette question complexe et éminemment vitale qu’est l’éducation.
Pourtant aux premières années d’indépendance, notre système d’enseignement portait encore les marques du passé colonial avec lequel il a du mal à opérer des ruptures radicales à l’exception de timides innovations.
En effet, on a constaté l’absence de missions nouvelles de l’école après 1960. L’enseignement général et les lettres suscitaient plus d’engouement et d’attention que la formation dans les domaines scientifiques et techniques.
Dans l’ensemble, ces structures éducatives de la première période post-indépendance étaient inadaptées aux impératifs d’un développement économique.
C’est 1971 que le Sénégal adopte sa première loi d’orientation de l’éducation et de la formation. L’approche technocratique est mise en exergue ave la création de nombreuses écoles de formation professionnelle. En effet, à l’école est assigné un rôle de développement.
Cette approche développementiste est mieux réaffirmée dans la deuxième loi d’orientation de l’éducation en 1991 qui précise que le but de l’éducation est, entre autres, de « former des hommes et des femmes capables de travailler efficacement à la construction du pays »
Cependant, 30 ans après, à quelques exceptions près, on constate, malgré les investissements de l’Etat et des partenaires qui ont permis de booster le taux brut de scolarisation une absence de congruence entre les finalités de l’éducation telles que déclinées dans la loi d’orientation et les produits formés. Certaines pratiques des acteurs de l’école sont en déphasage avec la loi d’orientation. Ce qui nous amène à nous demander si les principaux acteurs de l’école se sont réellement appropriés la loi d’orientation qui, pourtant devrait être le bréviaire de tout enseignant impliqué dans l’action éducative au Sénégal.
Ainsi, dans un contexte de recomposition des valeurs et de crise des repères, l’école n’est plus considérée comme cette institution qui assure la promotion sociale. Plus grave elle sécrète des anti – valeurs, l’appât du gain facile, l’érosion de l’esprit civique, etc. La violence s’invite dans l’espace scolaire. Certains actes de violence posés comme le saccage des infrastructures scolaires, les agressions contre les enseignants (tes) témoignent de l’escalade dans la spirale de violence qui gangrène l’espace scolaire universitaire. L’école et l’université ne sont plus des lieux sûrs pour assurer des enseignements en toute sérénité.
L’apprenant adopte d’autres référents en dehors de l’école car les modèles de réussite sociale auxquels il s’identifie désormais sont en dehors de la sphère scolaire. Pire, pour de nombreux jeunes, l’école n’est le lieu plus qui assure l’ascension sociale.
L’instabilité qui caractérise l’espace scolaire, du fait des grèves des enseignants et apprenants a pour conséquences une diminution du quantum horaire, des programmes inachevés, une baisse du niveau et des échecs massifs aux examens.
Dans le cadre des apprentissages, les contenus d’enseignement, d’une manière générale sont en décalage par rapport aux réalités de l’élève. Notre école demeure encore prisonnière de savoirs scolaires qui ne sont pas transposables dans le champ social. Ces savoirs ne sont pas déclinés en compétences opérationnelles répondant aux enjeux et aux besoins de la société.
L’écrasante majorité des élèves évolue dans l’enseignement général. L’enseignement technique et surtout les séries scientifiques ne suscitent pas un grand engouement au niveau des élèves.
Sur un autre plan, l’éducation inclusive, c’est-à-dire, celle qui assure la prise en charge effective des apprenants vivant avec un handicap n’est pas totalement prise en charge. Du reste, certaines infrastructures éducatives demeurent encore inadaptées pour accueillir les apprenants en situation de handicap.
Aujourd’hui, regard de ces constats, il est vital de révolutionner l’approche de l’enseignement et de l’enseignant.
Selon Charles Magnin, historien de l’éducation, la désorientation des élèves d’aujourd’hui résulte de la perte de sens de l’école dans la société : « Aujourd’hui, le savoir est perçu comme devant être fonctionnel et immédiatement utilisable. »
L’école doit renforcer la valeur sociale des études et son lien avec la société afin de permettre aux savoirs scolaires d’avoir un sens social c’est-à-dire d’être utilisables.
Pour ce faire, il apparaît nécessaire d’opérationnaliser les savoirs scolaires afin de rendre les produits de l’école plus aptes à jouer leur rôle d’acteurs dans la société. Dans cette optique, il importe de rompre avec une logique d’enseignement qui enserre la pédagogie dans un vase clos. La pédagogie traditionnelle, caractérisée par une relation d’autorité et le principe de l’enseignant qui dispense le savoir à un élève censé être prêt à le recevoir apparaît aujourd’hui inadaptée à une école dont l’ambition est de former des acteurs de développement.
Pour remédier à ces dysfonctionnements, il faut procéder à une meilleure articulation entre les enseignements et les apprentissages en privilégiant les apprentissages. Ce changement de paradigme permet de placer l’apprenant au cœur d’un processus dans lequel il n’est plus un récepteur passif mais un acteur qui, dans une logique constructiviste participe à l’élaboration d’un savoir.
Cette approche libère l’apprenant, dope sa motivation et valorise sa personne. Il est tout à fait heureux de saluer que les nouveaux curricula en phase de généralisation dans l’enseignement élémentaire privilégient l’entrée par les compétences.
En outre, pour paraphraser le sociologue français Edgar Morin, il convient de développer une approche systémique fondée sur l’interdisciplinarité. Cette approche vise à combattre le cloisonnement des matières et la spécialisation accrue des savoirs, en faisant ressortir leur interdépendance. Par exemple, l’interdisciplinarité mathématiques-sciences expérimentales (physique et sciences de la vie et de la terre) permet de travailler sur des outils communs comme les méthodes de calcul, mais aussi de rompre avec une approche abstraite des mathématiques en montrant leur utilité pratique.
Par ailleurs, l’ancrage dans la culture nationale et les valeurs qui cimentent la nation est nécessaire dans toute entreprise de socialisation. En effet, aucune société ne s’est développée en occultant son passé, fondement de la mémoire collective. Pour promouvoir les conditions d’un dialogue fécond avec les autres cultures, une relecture des programmes et des manuels est un impératif.
Une école prise en otage
Dans beaucoup d’établissements, on assiste à une situation où les soucis de compromis glissent vers la compromission voire la capitulation de l’autorité. En effet, certains chefs d’établissement, évitent d’engager un bras de fer avec le corps professoral ou quelques-uns de ses membres fautifs de peur de voir leur gestion douteuse dénoncée à haute voix par ces derniers. Dès lors ils versent dans un grave laxisme. L’école est ainsi prise en otage, tiraillée qu’elle est, entre une administration frileuse et des enseignants peu scrupuleux qui ne doivent leur impunité que dans la conspiration d’un silence coupable de l’administration. Dès fois, la solidarité de fait du « collectif des professeurs » sert de paravent à l’impunité. Ainsi de nombreuses tâches pédagogiques ne sont pas accomplies dans les délais encore moins avec le sérieux qui sied, au grand dam des élèves, des parents et au regret des professeurs consciencieux. A titre d’illustration, les conseils de classe, malgré leur importance sont régulièrement snobés par les professeurs, si ce ne sont les notes des élèves qui ne sont pas rendues dans les délais qui bloquent la tenue de ces conseils. Les livrets scolaires ne sont pas remplis par les enseignants, causant ainsi de graves préjudices aux candidats aux examens. Les absences injustifiées aux cours sont très fréquentes.
Tous les acteurs de la communauté éducative doivent comprendre qu’au sein de l’espace public, il est impossible d’agir en dehors des lois et de toute forme d’autorité. Abuser de la liberté conduit inéluctablement à briser les fondements de celle-ci. On peut bel et bien revendiquer ses droits tout en s’acquittant sérieusement de ses devoirs,
L’illusion pédagogique
Des évaluations sincères permettent de mesurer les performances des élèves. Cependant certaines pratiques, en cours dans l’espace faussent la finalité et l’esprit des évaluations. Il s’agit des cours particuliers.
Certes, l’accompagnement scolaire est un moyen d’aider des élèves en difficultés mais aujourd’hui ce recours aux « cours payants » dans l’espace public scolaire est perverti. Ces cours sont présentés par « les prestataires de service » en même temps professeurs des élèves comme indispensables pour « réussir ». Les mêmes exercices réalisés et corrigés durant ces cours particuliers sont proposés en classe. Ainsi les notes de complaisance données aux élèves fréquentant ces cours particuliers ne permettent pas juger du niveau réel de ces élèves. Pour ces derniers qui avaient l’habitude d’avoir de « bonnes notes » en classe, les examens sonnent comme une désillusion. Les notes catastrophiques obtenues aux examens sont sans commune mesure avec les « notes savamment dopées et taillées sur mesure » en classe.
En définitive, il est nécessaire de juguler les tendances négatives dans l’espace scolaire et d’installer dans les segments de la société en général, chez les apprenants et les enseignants, en particulier l’appropriation de valeurs et de vertus qui fondent la société et l’Etat démocratique. Le salut de notre école doit nous amener à privilégier en tout temps l’intérêt général.
Source : adakar