Jocelyn Raude, chercheur en psychologie sociale à l’Ecole des hautes études en santé publique, explique au Monde pourquoi, selon lui, l’obligation vaccinale ne serait pas nécessairement une méthode efficace pour gagner des points de couverture vaccinale en France.

Pouvait-on s’attendre à aller aussi loin dans la couverture vaccinale ?

Compte tenu du niveau d’hésitation vaccinale initialement estimé en France, la campagne vaccinale est plutôt un succès en termes de chiffres. Même si le passe sanitaire n’est pas exempt de critique, ce dispositif extrêmement contraignant explique en partie ce succès. Nos voisins ne l’ont pas tous fait, à part quelques pays, dont l’Italie. Le débat est aujourd’hui polarisé entre, d’un côté, cette stratégie des « incitations fortes », qui consiste à rendre coûteuse socialement la non-vaccination, et de l’autre l’objectif de santé publique. La campagne vaccinale contre le Covid-19 a commencé très vite puis s’est ralentie lorsque ce qu’on appelle le stock des hésitants a été atteint. Si des politiques d’exigibilité n’avaient pas été instaurées à travers le passe sanitaire, la couverture vaccinale aurait vraisemblablement plafonné à 65 %, alors qu’aujourd’hui on approche de 90 % de la population éligible.

L’obligation vaccinale est-elle la seule solution pour étendre la couverture vaccinale ?

Je ne suis pas sûr que l’obligation permette un saut significatif en termes de couverture vaccinale. Manifestement, il est possible de gagner quelques points de pourcentage ; les données montrent que sur les vaccins obligatoires pour les enfants, on est monté jusqu’à près de 95 %. Mais chez les adultes, je pense qu’on a vraiment atteint une espèce de taux incompressible. Cela fait maintenant une dizaine d’années qu’on étudie les attitudes par rapport à la vaccination et il semblerait qu’il y ait entre 5 % et 10 % d’opposants à la vaccination, des gens effrayés par les effets secondaires et soutenant parfois des théories conspirationnistes. Ce sont un peu les derniers à résister. Passer à l’obligation vaccinale n’aurait pas forcément plus d’effet que la politique actuelle, ce compromis entre le respect de certaines libertés fondamentales et la recherche du bien public à travers la protection de la santé des populations.

Peut-on considérer que les quelque 8 % de Français majeurs qui ne sont pas vaccinés sont tous antivax ? N’y a-t-il pas aussi des personnes précaires et/ou isolées du système de soins ?

Souvent, il est difficile d’enquêter sur ces groupes de population parce qu’ils ont moins le téléphone que les autres, donc on pense que parmi ces 8 %, il y a effectivement une partie de la population qui cumule des facteurs sociaux et économiques défavorables : l’isolement, un mode de vie plutôt rural et une nécessité moindre de fréquenter les bars ou les commerces. Il est donc possible d’avoir encore une petite marge de manœuvre sur ces populations dites « difficiles à atteindre ». C’est un grand classique de la santé publique. Pour atteindre les gens un peu isolés, il faut user de dispositifs moins centralisés. Mais cette catégorie de la population ne constitue probablement pas la majorité des grands réticents d’aujourd’hui. Il s’agit plutôt de gens idéologiquement contre la vaccination, pas forcément d’antivax. En santé publique, on parle soit d’opposants à la vaccination, soit d’hésitants, lesquels regroupent plein de catégories différentes. Il y a ceux qui acceptent certains vaccins mais pas d’autres, ceux qui veulent bien des vaccins classiques mais pas de ceux à ARN messager qu’ils jugent insuffisamment testés, ceux qui ne sont pas contre les vaccins mais refusent les adjuvants. Globalement, ce qui caractérise tous ces sous-groupes, c’est leur forte résistance à l’idée vaccinale contre le Covid-19.