La dernière fois que quelqu’un a vu Rudy, un lycéen de 15 ans, c’était autour de minuit, à l’heure de la fermeture du point de vente de drogue du bâtiment C de la cité Jean-Jaurès, dans les quartiers nord de Marseille. Son copain Nourdine, avec lequel il faisait le « chouf » (le guetteur) ou le « charbonneur » (le vendeur), l’a vu partir avec « ZZ » et « Jimmy », deux « grands » qui le tenaient par l’épaule.
Quelques heures plus tard, le 18 novembre 2016, dans les collines du massif de l’Etoile, un joggeur découvre le corps sommairement calciné de Rudy. L’adolescent a été tué comme un caïd. A genoux, les poignets liés, il a reçu une balle de fusil de chasse dans le thorax puis, au sol, un second tir qui lui a emporté une partie de la boîte crânienne. L’assassinat porte la signature du narcobanditisme marseillais avec toutes les caractéristiques de ces règlements de comptes commis sur fond d’une guerre des territoires de la drogue.
Dans le box de la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, où ils comparaissent à partir de lundi 6 décembre, « ZZ », le surnom de Samir Zerouali, et « Jimmy », celui de Khadim Thiam, contesteront être les auteurs de cet assassinat. Ils avaient 21 et 23 ans au moment des faits et une mauvaise réputation. Le premier se revendique comme un « voleur de charbons » qui arrache les sacoches des charbonneurs sur les points de deal ; le second aime se « faire respecter en faisant la bagarre ». Leur procès va conduire les jurés dans les méandres des trafics de cité, ce monde où la rumeur scelle des destins. Elle a probablement tué Rudy.
Dans le quartier, il se disait que le lycéen, qui préférait le commerce du cannabis à ses études de carrosserie, avait donné le top départ aux tueurs dans un règlement de comptes commis quelques semaines plus tôt. Le 21 octobre 2016, sur le parking du KFC du boulevard de Plombières, en rejoignant leur scooter, Rudy et son ami Hicham avaient toqué à la vitre d’une voiture pour saluer leurs trois occupants. Quelques instants plus tard, une moto surgissait et deux hommes en noir arrosaient les passagers avec une kalachnikov et un revolver .357 Magnum, tuant le conducteur et le passager arrière. Le troisième occupant avait réussi à s’enfuir. Pourtant, selon la police judiciaire, Rudy n’est pas le donneur du top départ et n’avait rien à voir dans ce règlement de comptes.
Un seul témoignage
L’une des victimes du KFC était un très proche de Khadim Thiam, que ce dernier présentait comme son « cousin sans lien de sang ». Rudy a-t-il été victime d’une vengeance fondée sur de seuls ragots ? L’accusation repose principalement sur le témoignage de Nourdine, ce copain alors âgé de 17 ans, avec lequel Rudy avait l’habitude de rentrer chaque nuit, une fois leur « salaire » versé par « Raptor », le gérant du plan stups. Le jeune homme a entendu « Jimmy » dire à « ZZ », en désignant Rudy : « C’est lui ! » Dans les heures qui suivent, ses échanges sur Facebook avec un copain reflètent son inquiétude. Les deux jeunes amis de Rudy imaginent même le pire, qu’il s’est fait tuer : « Il c fait fouma » [il s’est fait « fumer », tuer].