L’actuel directeur de l’ENA, bientôt remplacée par l’Institut national du service public, tire sa révérence.
Il y a quatre ans, Patrick Gérard prenait les rênes de l’ENA sans imaginer un seul instant qu’il en serait le dernier directeur. Son espoir, au jour de son départ? Que l’institut qui succédera à cette école, aussi prestigieuse que controversée, continuera d’attirer «les meilleurs d’une génération» vers le service public.
S’éclipser avant la suppression officielle de l’ENA
Dans le couloir qui mène à son vaste bureau, quatorze plaques de cuivre rappellent les noms des directeurs successifs de l’École nationale d’administration depuis sa création par le général de Gaulle, le 9 octobre 1945. Le sien y figure. Mais, comme un symbole, une quinzième plaque, déjà posée, est vierge de toute inscription. Elle le restera donc.
Le 1er janvier prochain s’ouvrira un nouveau chapitre de l’histoire de la haute fonction publique française avec la création de l’Institut national du service public (INSP), installé dans les locaux strasbourgeois de l’ENA. Patrick Gérard a préféré ne pas attendre cette échéance pour s’éclipser et rejoindre son corps d’origine, le Conseil d’État. «Il faut que ceux qui ont à préparer la création de cet institut puissent le faire», remarque-t-il sobrement dans une interview à l’AFP.
Ressent-il du dépit ou de l’amertume après l’annonce brutale de la suppression de l’ENA par Emmanuel Macron, le 8 avril? «Une décision a été prise par le pouvoir politique, le rôle de l’administration, c’est de l’appliquer», répond-il en loyal serviteur de l’État. «C’est le principe de la soumission de l’administration au pouvoir politique, un principe constitutionnel de la Ve République», insiste Patrick Gérard.
Un investissement personnel
Pour autant, la césure est loin d’être indolore et la «tristesse» bien présente. «Vous aviez des élèves qui avaient beaucoup travaillé pour préparer l’ENA et des agents qui étaient très attachés à cette école», remarque-t-il.
Lui-même s’était beaucoup investi dans cette fonction, seul directeur de l’ENA à résider à Strasbourg depuis le transfert de son siège dans la capitale alsacienne, décidé 30 ans plus tôt par Edith Cresson, la Première ministre socialiste d’alors.
En quatre ans à la tête de l’institution, Patrick Gérard a mené de nombreuses réformes, comme la création de deux nouvelles classes préparatoires «Égalité des chances» à Strasbourg et à Nantes, s’ajoutant à celle ouverte dès 2009 à Paris. Deux nouveaux concours ont été ouverts aussi, offrant une dizaine de places supplémentaires, l’un baptisé Talents à destination des élèves de ces classes préparatoires, issus bien souvent de milieux modestes, et un second destiné aux universitaires.
Le souhait de plus grosses promotions
Mais fallait-il en faire plus pour répondre aux nombreuses critiques sur la reproduction des élites dans la haute fonction publique? Pour Patrick Gérard, seules des promotions plus nombreuses permettraient d’élargir la base sociale du recrutement des élèves, comme l’avait fait Richard Descoings pour Sciences Po au tournant des années 2000. «Il y a eu un gros effort de diversité sociale mais c’est le gouvernement qui est responsable de l’organisation des concours», souligne-t-il. Et depuis quarante ans, les promotions de l’ENA se sont réduites comme peau de chagrin passant de 160 élèves à 80 l’an dernier et 89 cette année avec les nouveaux concours. «Si l’on veut faire plus de diversité sociale, il faut qu’il y ait plus d’élèves à l’INSP, c’est mathématique», martèle donc Patrick Gérard qui pointe aussi un «système éducatif extrêmement sélectif», l’ENA n’arrivant qu’en «fin de cycle».
Sera-t-il entendu? À quelques mois de son ouverture, l’INSP est encore dans les limbes. Deuxième du genre, une «mission de préfiguration», confiée à Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, planche encore sur les contours de cet institut dont la première promotion vient de passer le concours… de l’ENA.
Depuis 1945, l’école aura formé plus de 7.000 élèves français mais aussi près de 4.000 étrangers de 137 pays. Autre souhait de Patrick Gérard: que l’INSP perpétue la «marque internationale» de l’ENA, souvent méconnue mais qui a formé plusieurs générations de dirigeants étrangers «francophones et francophiles».
Source : etudiant.lefigaro