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France / Partiels à distance à l’université : «C’est trop facile, tout le monde triche»
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4 ans depuissur
A l’université, de nombreux étudiants avouent avoir recours à la triche pour obtenir de bons résultats. Et mettent en place de nombreuses tactiques pour ne pas se faire prendre.
Avant chaque partiel, Clément* prépare scrupuleusement ses antisèches. Rien n’est laissé au hasard. La veille, il élabore ses «fiches pratiques», avec tous les éléments qui pourraient l’aider au cours de l’examen: dates clés, repères historiques, anecdotes, exemples, etc. En fonction des cours et des modes d’évaluation, il s’adapte. Il y a quelques jours, par exemple, le jeune homme, étudiant en histoire, a dû passer un partiel à l’oral, sur Zoom. Là encore, il a trouvé la parade, et cela s’est très bien passé. «Tricher me demande presque autant d’efforts que réviser», concède-t-il dans un sourire en racontant ses différentes aventures.
Comme lui, de très nombreux étudiants avouent avoir recours à ce qu’ils appellent de «petites astuces» pour réussir leurs épreuves lors des partiels à distance, pour lesquels une grande partie des universités a opté en cette fin de premier semestre. Ils ne s’en cachent d’ailleurs pas, et en sont même parfois plutôt fiers. Certains s’amusent même à faire partager leur expérience sur les réseaux sociaux. «Je triche depuis le début de l’année, je n’ai aucune connaissance sur mon DUT», «Les partiels en distanciel c’est vraiment trop bien, j’ai jamais autant triché», peut-on par exemple lire sur Twitter.
Contactés par Le Figaro, les fraudeurs n’hésitent d’ailleurs pas à expliciter leur démarche. «Lors du premier confinement, déjà, j’avais triché comme un malpropre. Ça avait bien marché, alors j’ai décidé de remettre ça», s’enorgueillit par exemple Vincent*, étudiant dans une université lyonnaise. «L’école virtuelle, c’est difficile. Nous n’avons pas de cadre, la motivation est en chute libre. Et la masse de travail est démultipliée. Alors oui, on se résout à tricher pour pouvoir maintenir un niveau de résultats similaires à ce qu’on avait avant», explicite Marine, étudiante dans une grande université parisienne.
Des fiches collées derrière l’ordinateur pour réussir les oraux
Pour réussir, tous les moyens sont bons. Pour les QCM (questionnaire à choix multiple), ce n’est pas compliqué. «C’est facile. On a tout sous la main. Sur nos cours, sur des fiches, sur Internet, et même, sur notre portable si l’université nous bloque l’accès à d’autres pages web. Il est hyper simple d’obtenir de bonnes notes», détaille Audrey, étudiante en langues étrangères appliquées dans une université d’Île-de-France.
« J’avais réglé ma caméra et l’angle de mon ordinateur pour mieux lire les réponses que j’avais affichées en gros sur mon mur. Je levais juste un peu la tête pour regarder »Audrey, une étudiante
Sur certains sujets, les étudiants s’organisent pour travailler en groupe. Grâce aux réseaux sociaux, ils sont tout à leur aise pour se partager les réponses. Souvent, ils font ça sur Messenger, le système de messagerie instantané de Facebook. «On se répartit les parties. Untel s’occupe de tel sujet, untel de l’autre. On s’échange ensuite nos réponses et on recopie ce que l’autre a mis en changeant les tournures de phrases pour ne pas se faire prendre», raconte Adrien, étudiant à l’université de Bourgogne.
Pour les oraux face caméra, beaucoup ont également trouvé la parade. «J’affiche les réponses derrière mon ordinateur, sur le mur, je n’ai qu’à lever la tête et faire mine de réfléchir pour voir les réponses», raconte Clément. Même technique pour Audrey, qui a également mis en place ce stratagème. «J’avais réglé ma caméra et l’angle de mon ordinateur pour mieux lire les réponses que j’avais affichées en gros sur mon mur. Je levais juste un peu la tête pour regarder et mon prof ne s’est rendu compte de rien», narre-t-elle fièrement.
Les établissements impuissants
Si certaines universités ont essayé de mettre en place des logiciels de vidéo-surveillance pour veiller à ce que leurs étudiants ne fraudent pas, beaucoup y ont renoncé, faute de budget. «Nous n’avons pas les moyens de mettre un surveillant derrière chaque étudiant. Nous essayons de limiter la triche mais nous savons que certains y parviennent tout de même, nous ne sommes pas naïfs», témoigne Yann Mercier Brunel, vice-président formation et vie universitaire à la fac d’Orléans. Dans son université, lors du premier confinement, certains cas de fraudes avérés ont été repérés. «Des étudiants ont notamment passé les oraux en se faisant souffler les réponses par d’autres jeunes, hors-champ. Dans ce genre de cas, ils passent systématiquement en commission disciplinaire pour fraude», prévient Yann Mercier Brunel.
« Nous devons prêter serment avant chaque début d’examen, promettant l’individualité de notre travail. Mais franchement, ce n’est pas bien dissuasif»Une étudiante parisienne
Beaucoup d’universités ayant constaté les excellentes notes de leurs étudiants aux QCM proposés lors du premier confinement, ont changé leur fusil d’épaule. «Nous avons compris que ce genre de tests pouvaient poser problème. Les équipes pédagogiques l’ont pris en compte et ont adapté les évaluations», explique par exemple Guillaume Gellé, le président de l’université de Reims. Même choix à l’université de Bordeaux. «Nous avons tiré les leçons des premières évaluations à distance et privilégions désormais les travaux de réflexion faits à la maison», exprime Sandrine Rui, la vice-présidente en charge de la formation. Et de préciser qu’il y a «un principe de confiance» et que les étudiants «s’engagent moralement au début des épreuves à composer de façon autonome».
Mais ce contrat moral est rarement respecté. Cette étudiante parisienne peut d’ailleurs en témoigner. «Nous devons prêter serment avant chaque début d’examen, promettant l’individualité de notre travail. Mais franchement, ce n’est pas bien dissuasif. Je ne connais pas un étudiant de ma promotion qui n’a pas rompu ce serment», jure-t-elle.
Des diplômes dévalués?
Ces très nombreux cas de triche posent une nouvelle fois la question de la valeur de ces examens. Les diplômes obtenus par cette «génération Covid» seront-ils dévalués? Si les présidents d’universités jurent que la qualité de l’offre pédagogique est équivalente, ils avouent toutefois que la multiplication des cas de fraude ne plaide pas en leur faveur. «Ce n’est pas très malin de la part des étudiants, qui se pénalisent eux-mêmes en trichant et en le criant haut et fort», regrette un chef d’établissement.
«C’est vrai que notre comportement est un peu absurde en fait. Tout le monde triche, et tout le monde le fait pour ne pas avoir de moins bonnes notes que les autres. Les profs le savent et ne font rien pour nous en empêcher», explique Audrey. Avant de conclure: «Finalement, c’est vraiment entre nous et notre morale. Personnellement, je ne peux pas me permettre d’avoir des notes moyennes, je dois absolument être excellente partout pour pouvoir me réorienter. Alors, oui, je vais continuer de tricher, même si je m’en veux de le faire.»
* Tous les prénoms des étudiants cités dans cet article ont été modifiés afin de garantir leur anonymat.
Source : etudiant.lefigaro