Internationale
France / L’école supérieure des affaires a été, est et doit rester pour les Libanais une valeur refuge
Publié
3 ans depuissur
Par
Admin 1À l’occasion des 25 ans de cette grande école de management, le Figaro étudiant vous invite à Beyrouth pour une visite guidée du campus avec Maxence Duault, directeur général de l’ESA Business School.
Quelle est l’école de Beyrouth qui a tissé depuis des décennies des liens indéfectibles avec la France? Réponse: L’ESA. Derrière cet acronyme se cache l’École supérieure des affaires, une grande école de management dédiée à la formation des élites du Liban pour devenir les leaders de demain. À l’occasion de ses 25 ans, nous nous sommes rendus sur le campus pour en savoir plus sur cette plate-forme d’échanges et de rencontres entre l’Europe, le Moyen-Orient et le Liban et mieux en percevoir les rouages. Après quatre heures de vol, Beyrouth nous accueille. Nous traversons cette ville mi-orientale, mi-européenne, inondée de soleil et de parfums envoûtants, où les taxis, le nôtre peut-être plus que les autres, klaxonnent sans cesse.
Sous une chaleur accablante, nous zigzaguons dans la capitale libanaise, impressionnés de croiser, ici, des bâtiments qui portent encore les stigmates des guerres passées, là, d’autres plus contemporains balafrés par la terrible explosion du port du 4 août 2020. Une petite demi-heure de gymkhana plus tard, nous arrivons sur les hauteurs du quartier Clemenceau. À quelques centaines de mètres au-dessus de la Corniche, notre taxi s’arrête devant une immense grille. «Vous êtes arrivés à l’ESA» lance le chauffeur dont le visage s’illumine d’un grand sourire.
Après vérification des identités dans un poste de sécurité digne des plus grandes ambassades, on rejoint une bâtisse d’un parfait style années 30. Il ne fait plus chaud. Il fait brûlant. L’hygrométrie sature l’atmosphère. Sur le perron, Maxence Duault, directeur général de l’ESA Business School nous accueille. Lui, costumé. Impeccable. Nous, chiffonnés. À tordre. «Bienvenue à l’ESA. Bienvenue en France!». Nous pénétrons dans le hall climatisé. Soulagement. On respire. Le directeur nous invite à emprunter un immense escalier pour rejoindre le point culminant du campus. Maxence Duault, directeur général de l’ESA Business School. Nous nous installons avec une limonade bien fraîche.
« Nous ne pouvions pas nous arrêter. Il fallait aller de l’avant. Investir et s’investir avec volonté et audace»Maxence Duault, directeur de l’ESA BS
Indéniablement, ce 25e anniversaire prend une coloration toute particulière au moment où le Liban traverse une des crises les plus terribles de son histoire. Maxence Duault nous fait un point sur la situation: «Les conditions financières, sanitaires et politiques sont hors normes, les Libanais sont asphyxiés de tous les côtés et l’espoir se fait rare. Face aux crises, notre anniversaire doit être à la fois celui de la persévérance, de l’action face à l’adversité, mais aussi et surtout celui de la solidarité et de l’entraide.» Le directeur s’arrête. Le verbe suspendu. Il reprend: «Nous ne pouvions pas nous arrêter. Il fallait aller de l’avant. Investir et s’investir avec volonté et audace.» Les mots claquent. Il poursuit: «Dans la mesure où le modèle économique de l’école ne nous garantissait pas de ressources en devises étrangères, nous n’avions pas d’alternative. Nous avons été tout à la fois obligés de nous réorganiser, de puiser dans nos ressources et d’en appeler à la compréhension de nos partenaires, au premier rang desquels la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la région Paris Île-De-France, qui a joué un rôle déterminant pour nous aider à tenir.»
Le mot solidarité revient dans sa bouche comme un mantra
On sent chez l’homme de la détermination. Les mots ont un sens. Il réfléchit avant de les poser. «Je suis intimement persuadé que les mots audace, volonté, solidarité et entraide, qui ont été en 1996 les piliers fondateurs de l’école, sont 25 ans plus tard aussi dans l’ADN de nos écoles partenaires qui ont accepté, par exemple, l’étalement de certains de nos paiements internationaux, pour nous donner le temps de réguler notre trésorerie internationale. Je profite de cette rencontre, pour remercier au nom de nos étudiants boursiers la Région Île-de-France et le groupe Obegi, pour avoir soutenu notre fonds de bourse de solidarité, ou encore Saint-Gobain et l’Alumni d’ESCP Business School qui se sont mobilisés pour nous aider après l’explosion du 4 août.» On perçoit qu’à l’aplomb de ses phrases il y a une image. Maxence Duault, tel un La Pérouse, capitaine à la barre, se souvient de chaque vague affrontée. Le mot solidarité revient dans sa bouche comme un mantra.
Des bourses de solidarité pour les étudiants
«Notre campus doit permettre tout à la fois de former et de se ressourcer. Malgré les crises, ce n’est pas un hasard si nous avons enregistré une hausse de 40% des candidatures, qui s’est traduite par une augmentation de plus de 30% de nos étudiants. Au fil des mois j’ai pris conscience que, plus qu’une référence, l’ESA était un repère. Aussi, en cette année anniversaire, face à cet afflux de demandes, j’ai pensé que la meilleure façon de rendre hommage à celles et ceux qui avait fait notre école était de mobiliser nos réserves pour mettre en place des actions pour nos étudiants. Pour ce faire, j’ai souhaité non seulement que l’on maintienne des frais de scolarité très raisonnables mais surtout, pour la première fois, que l’on mette en place une bourse de solidarité ainsi qu’une bourse pour les personnels médicaux.»
Pour beaucoup, l’ESA est devenue un passeport pour l’international
Visiblement ému, le directeur poursuit: «Nous n’avions jamais attribué autant de bourses aux étudiants, sans compter les facilités que nous offrons au niveau des modes de paiement. Je crois qu’il est difficile de rendre compte de la détresse et des épreuves que subissent de trop nombreuses familles. Pour beaucoup, l’ESA est devenue un passeport pour l’international. Pour d’autres, un refuge qui leur permet de s’évader et de se ressourcer. Plus que jamais, notre responsabilité est de permettre au plus grand nombre d’en profiter.»
Maxence Duault nous invite à visiter classes et amphi, ultramodernes. «Depuis le premier jour, nous avons toujours conçu des espaces pour que nos étudiants puissent travailler et apprendre dans les meilleures conditions. Nous avons souvent été des précurseurs sur la forme mais aussi sur le fond. Il faut se souvenir qu’entre 1996 et 1997, l’ESA a été la première école de management au Liban à proposer des Masters in business administration (MBA) et des Executive MBA s’adressant, non pas à de jeunes étudiants, mais à des cadres et dirigeants. En 2015, toujours à l’écoute des entreprises locales qui recherchaient des jeunes formés de manière plus concrète, nous avons lancé un bachelor en administration des affaires (BBA). Et en parallèle, nous avons lancé un doctorat en administration des affaires (DBA) destinés aux cadres et dirigeants. Depuis sa création l’ESA est à l’écoute de son écosystème. Au Liban, par exemple, 96 % des entreprises sont familiales. L’école a donc réorganisé le contenu de ses programmes pour qu’ils correspondent aux besoins tout en bénéficiant du savoir-faire et des expertises de nos partenaires, tels que ESCP Business School, HEC Paris, Essec Business School et la SDA Bocconi, quatre Écoles qui figurent parmi les toutes meilleures institutions internationales.»
Aujourd’hui, l’école est presque vide mais nous croisons tout de même quelques étudiants qui nous saluent chaleureusement. Le directeur nous fait remarquer que «L’ESA est une grande famille. Et c’est dans des moments comme celui que nous vivons qu’une famille soudée est fondamentale. Vous savez, ajoute-t-il, malgré la crise sanitaire, et grâce à leur soutien sans faille, les professeurs aux quatre coins de l’Europe ont joué un rôle crucial dans l’enseignement à distance. Les étudiants, eux, avec courage et endurance ont pu continuer leur cursus et décrocher un double diplôme. Clef qui nous permet aujourd’hui de nous positionner comme une alternative crédible et d’une certaine manière unique, à l’option des études à l’étranger. Plus encore qu’hier, notre école doit être un lien avec l’international pour celles et ceux qui ne peuvent plus partir.»
Plus encore qu’hier, notre école doit être un lien avec l’international pour celles et ceux qui ne peuvent plus partir.Maxence Duault
Entre deux classes, il se retourne brusquement et ajoute: «Quand je parle de famille, j’y associe évidemment tous nos employés qui se battent sans compter pour les étudiants, pour l’établissement et qui portent de nombreuses actions au service des Libanais. Ils sont exceptionnels et l’ESA ne serait pas la même sans eux. Du fait de l’inflation et des blocages bancaires, leurs conditions de vie sont devenues très difficiles. Mais ils continuent, avec une dignité et un professionnalisme exemplaire, d’œuvrer au service des autres. Je suis déterminé à me battre pour leur assurer l’avenir qu’ils méritent.»
Place importante du français
Au détour d’un couloir, nous croisons d’autres étudiants qui échangent indifféremment en arabe, français et anglais. On interroge le directeur quant à la langue utilisée sur le campus. «L’arabe est la langue maternelle et, en partie à cause de la mondialisation, le Liban se tourne de plus en plus vers une culture plus anglophone, mais le français garde une place importante, tant au niveau social que culturel, parfois même au niveau des affaires. C’est un héritage prestigieux renforcé par des intérêts communs entre les deux pays. Nous maintenons donc un enseignement en français lorsque nous le pouvons, par exemple pour notre Bachelor, bilingue, ou pour des spécialités comme le management de la santé. En revanche, nous ne pourrions pas être leaders au niveau des MBAs et de la finance avec des programmes en français. Nous nous sommes adaptés en proposant, par exemple, une certification en langue française dans le cadre de notre MBA. D’ailleurs depuis 2007, l’ESA est l’unique centre agréé pour le TEF (Test d’évaluation de français) au Liban. Les examens y sont organisés de façon régulière.»
Nous sortons. Le magnifique parc boisé nous invite à poursuivre notre conversation. Nous partageons nos visions de l’information et de la communication en temps de crise. Les minutes s’égrènent. Au fil de ce fructueux échange on comprend bien que l’ESA a été, est et doit rester pour les Libanais une valeur refuge. On profite des derniers instants en compagnie de son directeur pour lui demander quel rôle joue l’école auprès de la société libanaise. Maxence nous fixe. «Vaste sujet. En fait, nous lançons des actions concrètes à chaque fois que nous pensons pouvoir être utiles» glisse-t-il dans un sourire avant d’égrener les exemples: «Depuis 2017, nous accompagnons les start-ups et contribuons à la création d’emplois à travers notre incubateur SmartESA, l’un des plus sérieux et des plus réputés du pays. Nous avons déjà formé plus de 200 entrepreneurs et contribué à la création de plus de 400 emplois, dont la plupart résistent encore à la crise. Ces entrepreneurs s’entraident aujourd’hui, avec des collègues venus d’autres incubateurs, souvent disparus aujourd’hui, et ils se sont même structurés en prenant appui sur l’ESA et en fondant, il y a tout juste quelques mois, la French Tech Beyrouth. Nous sommes également convaincus que nous devons faire tout ce que nous pouvons pour soutenir l’éducation et la santé. Sans mobilisation de toutes les énergies sur ces sujets, c’est l’avenir même du Liban qui est condamné.»
École de codage
Son visage s’assombrit. Il marque une pause avant de reprendre avec détermination: «En ce qui concerne l’éducation, nous travaillons en étroite coordination avec les services de l’Ambassade de France et nous avons regroupé de nombreux acteurs de l’écosystème pour stimuler l’innovation et trouver des solutions aux nombreux défis qui doivent être relevés dans les années à venir. Nous lançons également une école de codage (ESA Coding School à Nabatiyé (Liban-Sud) dont l’ouverture est fixée au 13 septembre prochain. Dans le domaine de la santé, nous appuyons les équipes du Plan national de santé mentale, en lien avec l’Agence française de développement (AFD), un projet qui a permis d’accompagner l’année dernière plus de 2000 Libanais sur le plan psychologique.» Nouvelle pause. La voix s’affermit: «Nous avons aussi participé à la reconstruction de Beyrouth, en soutenant la Fondation Aliph, l’Institut français du Proche-Orient, le Beirut Heritage Initiative et la Fondation nationale du patrimoine. Enfin, à travers le Meref, la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) française au Liban, nous avons mis en place un plan de soutien pour les femmes actives et un plan d’appui aux petites et moyennes entreprises (PME), avec la mise à disposition gratuite d’experts à l’ESA et une réflexion en cours pour monter un programme d’appui à l’export.»
Il y a trop à faire et nous avons la responsabilité de tenir pour aider les Libanais à se réinventer un avenir.Maxence Duault
Fier, et on peut le comprendre, le directeur achève son propos: «Même si les crises sanitaires et économiques nous ont ralenti, l’ESA continue de maintenir les caps fixés et s’adapte pour mieux former, accompagner et servir l’amitié franco-libanaise.» Son regard se fige un instant, comme pour contempler les épreuves à venir: «Il reste encore du chemin à parcourir et l’année prochaine sera décisive pour nous, très difficile si nous ne sommes pas nous-mêmes soutenus, mais nous continuerons à aller de l’avant. Il y a trop à faire et nous avons la responsabilité de tenir pour aider les Libanais à se réinventer un avenir.»
Incubateur et accélérateur
Son téléphone bipe avec insistance. Maxence Duault doit reprendre les commandes du navire. Tout en nous saluant, il nous rappelle qu’il y a quelques jours à peine, la veille du 14 juillet, Franck Riester, ministre français délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité, est venu sur le campus de l’ESA Business School accompagné de l’ambassadrice française au Liban, Anne Grillo. «Nous avons pu lui présenter nos différents cursus et projets et les espaces que notre incubateur et accélérateur Smart-ESA occupe depuis 2019. Cette visite était très importante. Franck Riester a assuré aux étudiants et entrepreneurs inscrits dans les différents programmes de l’école qui étaient venus à sa rencontre qu’ils étaient «l’avenir du Liban» et que «la France était fière de contribuer au développement de ces forces vives».
Nous profitons encore quelques instants du parc. Assis, à l’ombre des frondaisons d’un cèdre… Les mots de Mariano José de Larra font écho: «Le génie, comme le cèdre du Liban, pousse sur les cimes, il grandit et se renforce dans la tempête et non dans les bas-fonds.»
Source : etudiant.lefigaro