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France / «J’ai lavé un cadavre sans le savoir» : le calvaire des étudiants infirmiers bizutés à l’hôpital

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Plusieurs étudiants infirmiers dénoncent des blagues de mauvais goût durant leurs stages. Certaines se font au détriment des patients.

«Dans un stage on m’a dit que quand un patient décède, on fait la blague au stagiaire. On lui fait prendre la tension et on regarde à quel moment [il] se rend compte qu’il est mort.» Dans une vidéo TikTok, ce court témoignage a fait le buzz. Plus de 415.500 internautes ont vu le post de Sam Intéresse, une jeune infirmière. «Vous trouvez ça normal encore une fois? Vous trouvez ça drôle? C’est bien», peut-on entendre durant la vidéo. Cette dernière a provoqué une vague de réactions sur les réseaux sociaux.

Sous cette publication, on découvre aussi un autre témoignage: «En premier stage infirmier, on m’a demandé d’aller féliciter une maman qui venait d’accoucher. C’était mon premier jour. En fait, elle avait perdu son bébé.» Sur Twitter, l’auteur de ce commentaire a ajouté: «J’ai vécu un stage horrible. Elles m’ont demandé de dire ça à la patiente et elles étaient derrière moi à rigoler. Aucun respect.»

«L’équipe était en plein fou rire, elle venait de constater le décès»

Cécile aussi a vécu un cauchemar. En première année, elle entame son deuxième stage au service gériatrie. Très vite, l’étudiante se fait bizuter par son équipe qui lui demande de faire la toilette d’un patient mort. Cécile, elle, ignore que la personne est décédée. «Les infirmiers m’ont demandé de prendre en charge un patient pour sa toilette. En rentrant dans la chambre, je fais comme d’habitude, je prépare tout, je parle au patient mais il ne me répond pas. Je ne m’inquiète pas plus que ça, je me dis qu’il n’a juste pas envie de me parler. Il dort sans haut de pyjama, je commence donc par lui laver le haut du corps», raconte la jeune femme de 25 ans au Figaro Étudiant. «En voulant plier son bras, je sens qu’il résiste. Je demande alors au patient de se détendre. Mais je m’aperçois qu’il regarde toujours dans le vide et ne me répond pas. Je panique, je sens qu’il est relativement froid et qu’il commence à être en raideur cadavérique. Je cours à la porte et je vois les membres de l’équipe en plein fou rire, me disant qu’ils venaient de constater le décès.»

Le patient entre alors en détresse respiratoire

Diplômé depuis quelques mois, Florian a lui aussi encore du mal à comprendre ce qu’il lui est arrivé lors de son stage de fin d’études. Intégré au service de réanimation, l’étudiant, alors âgé de 23 ans, prend en charge un patient qui s’agite dans son lit. Un peu dépassé par la situation, il demande à son encadrante quelle conduite tenir. Celle-ci lui répond: «Donne-lui 20mg de Nimbex». Florian s’exécute. «Sauf que le Nimbex est un agent paralysant, un curare. Ce traitement ne s’utilise que chez un patient lourdement sédaté, afin d’éviter d’être “emprisonné dans son corps”. J’étais au courant, mais vu que la posologie ne correspondait pas aux doses que l’on utilise d’habitude, j’ai imaginé que cela devait être une autre indication de ce traitement», raconte le jeune homme. Le patient entre alors en détresse respiratoire. Heureusement, il survit.

«J’ai mis la vie du patient en danger. Il m’a fallu du temps pour ne plus me sentir coupable»Florian, ancien élève infirmier désormais diplômé

«L’infirmière s’est justifiée [devant la direction] en disant que c’était une blague et qu’il fallait être débile pour penser que c’était une vraie prescription», précise Florian. Excuse maladroite ou vérité? Qu’importe pour l’étudiant.«J’ai mis la vie du patient en danger. Il m’a fallu du temps pour ne plus me sentir coupable. J’ai réalisé que c’était anormal de faire des “blagues” avec la vie d’un patient, surtout avec des étudiants.» Ni l’étudiant ni l’infirmière n’ont été sanctionnés par l’hôpital, selon Florian. Depuis 1998, la loi interdit le bizutage, qualifié de délit. Il peut être puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

«Ils me hurlaient dessus tous les jours aussi, ils cherchaient à me déstabiliser. C’était répétitif, habituel»Léa, étudiante infirmière

Au-delà du bizutage, le harcèlement aussi fait craquer certains stagiaires. Si certains acceptent de témoigner «faire bouger les lignes», pour d’autres, cela reste difficile. Au téléphone, Léa, 22 ans, a des sanglots dans la voix. «C’était il y a bientôt deux ans mais c’est encore très éprouvant pour moi de raconter ça», explique-t-elle. Alors que Léa est en première année, elle commence son stage à l’hôpital d’Épinal dans les Vosges. «J’ai été envoyée dans le service des dialyses. C’est très technique, normalement on n’y envoie pas des premières années.» Très vite, Léa reçoit des piques de trois infirmiers devant toute l’équipe ou face aux patients. «Bon, je vais le faire, tu as l’air un peu blonde» ; «Putain, Léa, tu fais chier» ; «Tu n’y arriveras jamais» ; «Tu n’es qu’une menteuse» ; «Casse-toi». «Ils me hurlaient dessus tous les jours aussi, ils cherchaient à me déstabiliser. C’était répétitif, habituel», ajoute Léa. La jeune femme entre alors en dépression, est suivie psychologiquement et finit par arrêter l’école.

Pour Leila* aussi, les stages à l’hôpital sont un terrible souvenir. Pour son stage de première année, elle est reçue dans un Ehpad à Paris pour cinq semaines. «Les aides-soignantes et infirmières m’ont prise à part pendant 45 minutes pour me faire des critiques sur mon comportement devant des membres de l’équipe et certains résidents. Jusqu’à ce que je pleure. Ensuite, elles m’ont descendue au réfectoire, devant tout le monde: les résidents et le personnel. J’avais les yeux rouges de larmes. On me demandait pourquoi. J’avais peur. J’ai menti en disant que j’étais tombée».

«Tapez la stagiaire si vous avez mal»

Raphaëlle Jean-Louis aussi se remémore douloureusement ses années de stage. Quatre mois avant d’être diplômée, elle subit des «scènes de maltraitance» lors d’un stage au service orthopédie. «J’étais en train de faire un pansement à un patient. Je lui expliquais comment j’allais procéder. Une infirmière et passée et m’a répété à deux reprises: “Il n’en a rien à foutre de ce que tu dis”. Ce qui était faux». Peu de temps après, un jeune homme de 23 ans est hospitalisé à la suite d’un accident de moto. «Il fallait lui faire un soin très technique au niveau de sa sonde urinaire. Étant élève, j’ai demandé au patient et à mes collègues si je pouvais assister au soin pour apprendre les étapes. Les infirmières m’ont dit que j’étais vicieuse. La soignante qui a réalisé le soin avait du mal à l’effectuer, le garçon hurlait de douleur. Elle a dit “Monsieur, défoulez-vous sur la stagiaire, tapez-la si vous avez mal”.» Ces histoires à répétition pendant 10 semaines, Raphaëlle Jean-Louis les a racontées dans un livre en 2018: Diplôme délivré(e)! (éd. Michalon). L’ouvrage a rencontré un tel succès (l’auteur a d’ailleurs été invitée à l’Élysée), que Raphaëlle Jean-Louis en prépare actuellement une adaptation pour le cinéma.

Cécile, Florian, Léa, Leila*, Raphaëlle, mais aussi Charly, Océane, Marine et Emma racontent tous la même histoire. «On m’a dit tous les jours de mon stage que j’étais nulle», «On m’avait prévenu que sur mes 6 stages, au moins un se passerait mal», «Après tant de méchancetés, j’ai perdu confiance en moi». Tous ont mis un terme à leur stage.

Pour la FNESI (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers), «la maltraitance en stage et la détresse psychologique des étudiants en sciences infirmières n’est pas une nouveauté». En 2011, 2015 et 2017 par la réalisation de trois enquêtes, la FNESI avait interrogé les étudiants sur leur vécu en stage. Les trois enquêtes avaient révélé leurs souffrances physiques et psychiques liées aux conditions d’études. Et 33,4% des étudiants déclarent avoir été harcelés par un soignant, selon l’enquête de 2017. Suite à ces témoignages, la FNESI (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers) a publié un communiqué ce jeudi 18 novembre, afin de réclamer le développement d’une évaluation systématique et obligatoire des lieux de stages. «L’objectif de mettre en place une plateforme nationale permettrait aux étudiants d’évaluer leurs stages afin d’observer les améliorations notables à mettre en place au sein des établissements», écrit le communiqué.

* Le prénom a été modifié

Source : etudiant.lefigaro

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