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France / Harcèlement scolaire : «J’ai pensé à me tuer»
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3 ans depuissur
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Admin 1Marguerite est aujourd’hui une jeune femme épanouie dans ses études à Sciences Po. Elle raconte le calvaire qu’elle a vécu tout au long de ses années de collège.
Elle a 12 ans lorsque tout a commencé. Marguerite* fait sa rentrée en 5e dans un lycée public parisien. Comme tous les élèves de son âge, à l’excitation du premier jour de la rentrée se mêle une pointe d’angoisse. Rien de plus normal.
Mais il a suffi de quelques heures dans sa nouvelle classe pour comprendre qu’elle était «différente». On lui fait sentir, certains la dévisagent. «Je venais de province, je ne comprenais pas bien l’ambiance que l’on peut trouver dans collèges parisiens», explique Marguerite. Autour d’elle, les filles sont minces voire fluettes. «J’ai atteint ma puberté très jeune. J’ai eu mes premières règles à 9 ans, et à l’âge de 11 ans, je n’avais pas un corps d’enfant comme les filles de ma classe. J’avais de la poitrine et des cuisses», confie-t-elle. Qu’à cela ne tienne, Marguerite tente quand même une première approche. Elle se présente avec aise, en vain. «J’ai compris que personne n’accrochait avec moi.»
Pourtant, Marguerite est loin d’être timide. «Au contraire», renchérit-elle, «je suis même extravertie, je m’intéresse à tout. Mais à l’époque, ce que j’aimais ne correspondait pas à ce que les autres aimaient». Marguerite adore lire, raffole de livres d’histoire et se perdre dans son imagination. «J’étais un peu une geek», rit-elle.
«Tous les jours, on me disait que j’étais moche ou que j’étais grosse»Marguerite, 19 ans.
Une semaine plus tard, Marguerite parvient à se faire une amie. «Et encore, je sentais que ça n’allait pas durer», se rappelle-t-elle. Un groupe de garçons s’approche d’elle, la taquine d’abord avant de lui «faire la misère». «Cela a commencé par des petits trucs», raconte la jeune femme de 19 ans. «Tous les jours, on me disait que j’étais moche ou que j’étais grosse.» Lorsque Marguerite a, des années plus tard, observé les photos d’elle à cette époque, elle s’étonne: «J’étais très très loin d’être grosse, comme ils le disaient. J’avais des formes, mais j’étais fine. Je ne faisais peut-être pas du 34 mais un 36. J’étais en pleine forme, je faisais du sport». À force d’entendre ces remarques, elle finit par croire ce qu’on raconte d’elle. «Les paroles de mes harceleurs avaient plus d’impact que celles de ma famille. Au bout de quelques semaines, j’étais persuadée d’être laide, en surpoids et poilue. Tout ça parce que mes gènes font que je n’avais pas un duvet blond sur mes bras contrairement aux autres filles.»
Peu à peu, Marguerite dépérit. «Je perdais ma liberté de me définir, je me percevais uniquement à travers le regard des autres». Et si à l’époque, elle ne sait pas que cela existait, la jeune femme tombe «en dépression». Elle trouve des solutions pour ne plus se rendre en classe, dit à ses parents qu’elle est trop malade pour sortir de son lit. À l’école, une surveillante remarque son mal-être. «Je déjeunais à la cantine et fréquentais donc toute la journée mes harceleurs. Mes parents ont demandé que je sois externe mais c’était impossible», se souvient-elle. «Il fallait attendre la fin du trimestre, nous disait-on. Alors, j’ai arrêté de manger. Une surveillante l’a vu et a tiré la sonnette d’alarme. On m’a finalement autorisée à rentrer chez moi pour déjeuner.»
«J’ai eu des idées noires»Marguerite, 19 ans
Malgré tout, ses harceleurs ne la lâchent pas. Un jour, l’un d’entre eux la fait trébucher sans le faire exprès. «J’ai vu dans son regard qu’il était sur le point de s’excuser quand je suis tombée par terre. Mais les autres ont ri alors, il n’a pas osé», relate-t-elle. Dès lors, lui faire un croche-pied est devenu leur passe-temps favori. «C’était un jeu, pour eux. Ça les faisait rire. Tous les jours, ils essayaient de me faire tomber. Avant de rentrer en cours ou au moment de sortir, dans les couloirs ou dans les escaliers...», se remémore Marguerite. «J’ai eu des idées noires pendant cette période. J’ai pensé à me tuer, je demandais à Dieu de faire en sorte que tout cela cesse.»
Puis, Marguerite dit à ses parents que l’un de ses camarades a essayé de la gifler. «Ils m’ont retirée du collège à ce moment-là et m’ont mise en pension. J’ai cru que tout redeviendrait normal». Mais non. L’angoisse la poursuit, les souvenirs de cette époque ne la quittent pas. «Au lycée, j’étais complètement fermée aux garçons. On disait que je les prenais de haut alors qu’en réalité, j’en étais juste terrifiée. Je ne voulais pas m’approcher d’eux parce que j’avais peur qu’ils me fassent du mal.»
«Il faut parvenir à se projeter»Marguerite, 19 ans
Il lui a fallu des années avant de calmer une anxiété envahissante. «En seconde, j’ai commencé à me faire des amies. J’ai compris que je pouvais compter sur d’autres personnes que ma famille.» Et surtout, Marguerite se fixe des objectifs. «Je voulais intégrer Sciences Po et voyager dans le monde. Ce but m’a aidée à comprendre que, même si le présent est difficile, l’avenir est prometteur. Je sais que c’est difficile de se dire cela lorsqu’on est collégien. On ne sait pas très bien qui l’on est, ce que l’on va devenir, ce que l’on souhaite. Le futur est inimaginable. Mais il faut parvenir à se projeter et savoir ce qu’on veut faire d’ici cinq, dix ans.»
La jeune femme de 19 ans insiste: «Il faut apprendre à accepter ce qui nous est arrivé et en faire une force. J’ai été victime de harcèlement à l’école mais je me considère aussi comme quelqu’un qui a survécu à quelque chose de difficile». Marguerite poursuit: «Je sais qu’il y a des formes de harcèlement encore plus graves que la mienne. Dans tous les cas, il faut en parler, ne pas hésiter à raconter non seulement les faits, mais leurs effets. Il faut faire comprendre aux adultes la douleur que c’est d’être harcelé.»
«Je considère que j’ai gagné et que mes harceleurs ont perdu. J’ai réussi à devenir ce que je voulais»Marguerite, 19 ans
Si aujourd’hui, Marguerite se sent «plus forte» grâce à cette expérience, elle reste lucide: «Il y a des réflexes que j’ai et qui me rappellent que j’ai été harcelée. Mais je considère que j’ai gagné et que mes harceleurs ont perdu. J’ai réussi à devenir ce que je voulais, je suis ravie de mes études, je suis heureuse dans ce que je fais. Je sais que parmi mes agresseurs, il y en a qui sont encore chez leurs parents et qui n’ont aucun projet de vie. Je ne m’en réjouis pas mais je me dis que vraiment, j’ai gagné.»
Enfin, conseille Marguerite, «il ne faut jamais douter de ce que l’on vit». «Beaucoup m’ont demandé si je n’avais pas tout inventé. À tel point que j’ai fini par me poser la question. Mais non, je n’ai rien inventé. D’ailleurs, une de mes amis a vu l’un de mes harceleurs des années plus tard. Elle lui a demandé s’il se souvenait de moi, de ce qu’il m’a fait. Il est devenu tout blanc et a répondu qu’il n’était pas le seul à m’avoir fait souffrir.»
* Ce prénom a été modifié
Source : etudiant.lefigaro