Dans un rapport au vitriol publié le 20 janvier 2021, la Cour des comptes dresse un état des lieux de l’enseignement supérieur en arts plastiques.
Faible taux d’insertion professionnelle, sélection sociale et manque de diversité, formations qui coûtent cher à la collectivité, mutualisations insuffisantes entre établissements… Dans un rapport au vitriol publié le 20 janvier 2021, la Cour des comptes dresse un état des lieux de l’enseignement supérieur en arts plastiques. Sont ainsi passées au crible la dizaine d’écoles nationales (l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts, l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs…) placées sous la tutelle du ministère de la Culture, et les 34 écoles territoriales sur lesquelles il exerce une tutelle pédagogique.
Les 11 000 étudiants qui sont formés actuellement dans ces 44 écoles devraient être mieux suivis à leur sortie, estiment les magistrats de la rue Cambon. Ceux-ci rappellent que leur taux d’insertion professionnelle est estimé à 80 % trois ans après l’obtention du diplôme. Ce «résultat est d’autant plus décevant au regard de l’exigence et du coût des formations que les revenus tirés de leur activité par les artistes plasticiens apparaissent particulièrement bas et souvent inférieurs au seuil de pauvreté». En effet, 62 % des jeunes actifs issus de la filière arts plastiques touchent moins de 15 000 euros par an, selon une enquête du ministère de la Culture.
Le coût annuel de formation pour la collectivité et par étudiant est de l’ordre de 18 000 euros pour les Beaux-Arts et les Arts décoratifs de Paris. Trop onéreux pour la Cour des Comptes alors que «les taux d’insertion des étudiants en arts plastiques à l’université apparaissent plutôt meilleurs. Ceux des établissements privés qui assurent un suivi étroit et constant de leurs diplômés se situent pour leur part à un niveau très supérieur», notent les magistrats.
«Nous avons mis en place une formation professionnalisante»
Le rapport préconise d’intégrer l’insertion professionnelle comme une mission essentielle des écoles d’art. C’est l’objectif affiché des 166 écoles privées d’art disséminées en France et qui accueillent entre 15 000 et 20 000 étudiants actuellement. En témoigne l’École Émile Cohl à Lyon, un établissement qui délivre un diplôme visé par le Ministère de l’Enseignement Supérieur.
«Nous avons mis en place une formation professionnalisante qui prépare aux métiers artistiques par le dessin», explique Antoine Rivière le directeur de l’école lyonnaise fondée en 1984. Celle-ci forme aux métiers de l’infographie, du multimédia, du jeu vidéo, du cinéma d’animation, de la bande dessinée, de l’illustration et du dessin de presse. «Les étudiants sont confrontés à des contraintes techniques, de temps, de budget… Ils apprennent à travailler en équipe et sont préparés aux réalités du monde de travail».
Même son de cloche du côté des écoles créées par les chambres de commerce, et qui se sont distinguées dans le secteur de l’animation et du jeu vidéo, comme les Gobelins à Paris, l’Emca à Angoulême, Rubika à Valenciennes. «Le fil rouge pour l’intégralité des parcours de formation à Gobelins, c’est la professionnalisation, l’accompagnement de nos élèves pendant et à l’issue de leur cursus vers l’emploi. C’est l’ADN de nos écoles», explique Sabine Garrigues, Directrice académique de Gobelins.
«Il ne suffit pas de se demander ‘‘combien d’anciens élèves vivent de leurs œuvres?’’»
Dans les écoles privées, les frais de scolarité annuels s’élèvent entre 6 000 et 13 000 €. Elles sont de 8000 euros l’année à l’École Émile Cohl. Cet établissement revendique un taux de placement de ses diplômés de 100 %, un an après leur sortie d’école.
Mais on ne peut mesurer la qualité d’une école d’art à travers son seul taux d’insertion et avec une approche «comptable», alerte David Rybak, ancien élève des Beaux-Arts de Paris et de l’Ecole Estienne, aujourd’hui enseignant à l’ECV, une école d’art appliquée privée.
«Il ne suffit pas de se demander ‘‘combien d’anciens élèves vivent de leurs œuvres?’’ Les pratiques artistiques contraignent quasi systématiquement des artistes à trouver d’autres stratégies pour gagner leur vie. D’autres indicateurs sont à prendre en compte. Combien sont-ils à exposer dans des ateliers? Quel est le nombre d’anciens qui ont une pratique artistique présente dans l’espace public? Par ailleurs, il ne faut pas comparer les écoles d’arts appliqués qui forment des étudiants à rentrer dans des industries avec les Beaux-arts».
Les écoles d’arts plastiques en concurrence avec les universités
En effet, les enseignements au sein de ces formations en arts plastiques sont centrés sur une réflexion et l’apprentissage de techniques artistiques qui ne sont pas forcément à mettre au profit d’une application directe. Alors que les écoles d’arts appliquées dirigent les étudiants vers un métier technique, comme styliste ou designer par exemple. Les premières forment des artistes, les secondes des professionnels de la création.
Mais «les écoles d’arts plastiques relevant du ministère de la Culture se sont mises depuis plusieurs années à offrir des parcours en design en arts appliqués. Or la dimension professionnalisante, liée aux arts appliqués et au fait de travailler dans le cadre d’une commande, est absente de ces cursus. Au sein de ces formations, le plasticien travaille libre de toute contrainte. Cela crée de la confusion», affirme Dominique Beccaria, directrice générale de l’Ecole de Condé, une école privée qui forme au design, aux arts graphiques, à la photographie et aux métiers d’art.
En outre, ces écoles sont de plus en plus concurrencées par la quinzaine d’universités qui ont ouvert un département en arts plastiques, et qui accueillent environ 8 500 étudiants. (Paris 1, Paris 8, Brest Rennes) «Certaines formations universitaires se révèlent ainsi particulièrement novatrices et attractives», notent les rapporteurs. Le caractère de plus en plus «sélectif, voire élitiste», de l’accès aux écoles supérieures d’arts plastiques explique en partie l’engouement pour l’université.
Les cursus préparatoires aux tarifs «socialement discriminants»
Le taux d’admission dans les écoles est globalement faible (9 % en moyenne dans les écoles nationales mais 6 % pour les plus prestigieuses et 22 % dans les écoles territoriales). «Cette grande sélectivité conduit à une généralisation des cursus préparatoires», note le rapport. Ces derniers sont surtout proposés par le secteur privé qui accueille 11 700 étudiants à des tarifs variant de 5 000 à 10 000 €, «socialement discriminants», estime la Cour des Comptes. Celle-ci préconise l’introduction d’un quota de boursiers.
Les trois écoles parisiennes affichent des taux de boursiers bas (23 % en moyenne), alors que cinq écoles territoriales présentent un taux supérieur à 50 %. Plus généralement, estiment les rapporteurs, «les initiatives en faveur d’une plus grande égalité des chances sont restées marginales».
Une «critique raide», réagit Loïc Horellou, co-pré́sident de l’Association nationale des écoles supérieures d’art et design publiques (Andea)/ «Les écoles du réseau y travaillent. La moyenne des boursiers accueillis est de 35%, comme dans l’ensemble de l’enseignement supérieur. Un chiffre certes inférieur aux 40 % affichés par l’Université mais bien supérieur aux taux des écoles d’ingénieurs et de commerce qui doivent plafonner à 20%, en moyenne».
Source : etudiant.lefigaro