Les notes des bulletins sont particulièrement élevées cette année alors que le contrôle continu compte pour 82% de la note finale.
«Les dossiers sont tous bons et se ressemblent. Ils sont absolument excellents», observe avec une pointe d’ironie Marie-Astrid Courtoux Escolle, chef d’établissement de Saint-Michel de Picpus, à Paris. «Les profs de lycée ont sûrement surnoté leurs élèves car tous les terminales qui postulent dans notre prépa ont à peu près la même note, autour de 16, aussi bien dans le public que dans le privé.» Idem dans ce lycée privé parisien dont les classes préparatoires comptent parmi les plus réputées: «Nous avons reçu beaucoup de très bons dossiers. L’immense majorité a des notes 30 à 40% plus hautes que l’année dernière.»
Jérôme Teillard, chargé de mission Parcoursup le reconnaît: «Les établissements ont reçu beaucoup de bons dossiers.» La «bienveillance» que prônait Jean-Michel Blanquer pour la session du bac 2021 a t-elle été anticipée par les enseignants?
Trop de devoirs maison
C’est d’abord une des conséquences de la crise sanitaire et de l’école à la maison. La suppression des devoirs sur table n’est pas anodine, comme le souligne une enseignante d’histoire-géo dans un lycée public des Hauts-de-Seine. «Les élèves mis en demi-jauge ont été bien plus souvent qu’en temps normal évalués avec des devoirs maison, forcément notés plus larges», explique t-elle. «J’observe aussi beaucoup de stratégie d’évitement. Les élèves ne viennent pas le jour du DST (devoir sur table) pour ne pas faire chuter leur moyenne et réclament ensuite un devoir maison pour la remonter.»
La réforme du bac avec des élèves largement notés en contrôle continu a aussi aggravé le phénomène. D’autant qu’avec le Covid, les épreuves de spécialité ont été annulées puis remplacées par les moyennes des bulletins scolaires. Même en philo, seule épreuve restante du bac 2021, la meilleure note entre celle de l’examen et celle du contrôle continu sera retenue. La part du dossier scolaire représente in fine 82%, au lieu des 40% prévus initialement, dans la note finale du bac. «Je n’ai pas eu de directive, pour autant j’ai eu une notation plus indulgente. Un demi-point de plus, parfois», avoue cette professeur d’un lycée des Hauts-de-Seine. Claire Guéville, responsable du secteur lycée au Snes-FSU confirme la tendance générale: «La difficulté d’organiser des évaluations, les pressions permanentes, le fait qu’il n’y ait plus d’épreuve nationale… Tout ça fait que chacun évalue à l’aune d’attendus locaux. Donc oui, l’augmentation des moyennes est certaine.»
Pour ne pas démotiver les élèves
Le sujet reste malgré tout tabou. «Je renie le terme. Il n’y a pas de surnotation», balaye d’emblée Didier George, secrétaire national du Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN). «Cela voudrait dire qu’on donne des points gratuitement.» Beaucoup préfèrent utiliser le terme de «bienveillance», qui prend en compte l’année particulière vécue par les élèves, entre cours à distance, demi-jauge et attente des aménagements. «Les enjeux liés à la crise sanitaire ont fait que les enseignants adoptent cette attitude», poursuit Didier George, afin, explique-t-il de ne pas démotiver les élèves et limiter le décrochage scolaire. «Surnoter reviendrait à pénaliser un élève», tempère Gilles Demarquet, président de l’Association de parents d’élèves de l’enseignement libre (Apel). «Il se retrouverait admis dans une formation dans laquelle il ne sera pas préparé.»
La technique de la double notation
Comment connaître son niveau dans ces conditions? Ce professeur de maths dans un excellent lycée parisien avoue mettre deux notes sur ses copies: «Une note pour Parcoursup et une note pour l’élève pour qu’il se rende compte de son niveau réel». Une technique qui «brouille tout» et «démonétise l’évaluation», regrette Claire Guéville. Une pratique observée déjà l’an dernier. «Ça s’appelle tricher», réagit cette enseignante des Hauts-de-Seine. «Ce n’est pas aider la promotion qui suit et qui aura le bac normal. On risque de créer un fossé entre les promotions.»
Un taux de réussite qui risque d’être à nouveau record
Cela complique aussi les admissions sur Parcoursup. Pour faire le tri, les prépas doivent notamment se référer aux appréciations et aux lycées d’origine des élèves avec lesquels ils ont l’habitude de travailler. Les prépas comparent les moyennes des élèves des promotions précédentes, seuls indicateurs véritablement fiables. D’autres établissements ne se donnent pas tant de mal, ce qui peut provoquer des injustices: beaucoup d’élèves cette année ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas eu l’établissement qu’ils convoitaient malgré une excellente moyenne. Cette notation à la hausse pourrait aussi avoir des conséquences sur les épreuves du bac, avec l’aménagement annoncé pour la philosophie. Un avantage pour les élèves ayant été surnotés. Le taux de réussite au bac risque d’être aussi stratosphérique que l’an dernier: 95,7 % d’admis en France entière, déjà nettement supérieur à celui de 2019 (88,1 %).
Source : etudiant.lefigaro