Dans une lettre, Peter Boghossian explique que son université n’est plus un endroit où les jeunes apprennent «à penser».
«Je ne voulais pas que cela se termine ainsi. Mais je me sens moralement obligé de faire ce choix. Pendant dix ans, j’ai enseigné à mes étudiants l’importance de vivre selon ses principes. L’un des miens est de défendre notre système d’éducation libérale contre ceux qui veulent le détruire.»
Tels sont les derniers mots d’un professeur de philosophie qui a présenté sa lettre de démission, considérant que l’université de Portland (Oregon, États-Unis) est devenue non plus un lieu d’apprentissage mais une «Usine de Justice Sociale» où les étudiants «woke» (qui vient de l’anglais woke, «éveillé», un mouvement de pensée qui défend une vision identitaire du monde et caricaturale des questions raciales) ont tout pouvoir.
Ainsi que l’a repéré le quotidien britannique The Times , la lettre de Peter Boghossian, mise en ligne, relate des faits et agissements d’étudiants et de membres de l’administration «honteux», ainsi que le déplore son confrère historien Niall Ferguson, enseignant à Stanford.
Le professeur de philosophie assure avoir toujours organisé ses cours et invité divers intervenants dans le but d’encourager ses étudiants à «interroger les convictions de chacun tout en respectant les convaincus ; garder leur calme même dans les moments difficiles, et même à changer d’avis.» Il ajoute: «J’ai cherché à créer les conditions favorables à l’énonciation d’une pensée rigoureuse ; à les aider à posséder les outils nécessaires à la formulation de leurs propres conclusions. C’est pour cela que je suis devenu professeur et que j’aime enseigner.»
«Les étudiants ont désormais peur de parler ouvertement»
Conscient de l’influence de la culture «woke», le professeur a interrogé le bien-fondé des «safe spaces» («en quoi contribuent-ils à l’apprentissage des élèves?») ou encore, la pertinence de la notion d’«appropriation culturelle». «Contrairement à mes collègues, j’ai posé ces questions à voix haute en public.» Selon Peter Boghossian, cette liberté de pensée n’a plus sa place dans cet établissement. «Peu à peu, l’université a rendu cette exploration intellectuelle impossible» et s’est transformée en un lieu où les notions de «race, de genre» et de la «culture victimaire» prospèrent, créant «de la division et de la colère». «Les étudiants de Portland State n’apprennent plus à penser. Plutôt, on les entraîne à mimer les convictions morales d’idéologues. La faculté et l’administration ont renoncé à la mission de l’université: la recherche de la vérité.» Le professeur regrette la conséquence qui en découle: «Une culture de l’offense dans laquelle les étudiants ont désormais peur de parler ouvertement et honnêtement».
Des élèves qui refusent de discuter avec des individus dont l’opinion diverge ; des allégations fausses ; des professeurs accusés de sectarisme après avoir proposé «l’étude de textes canoniques écrits par des philosophes qui se trouvaient être Européens et mâles»… Le professeur énumère une série d’exemples indiquant ce qu’il perçoit comme étant le signe d’une «intolérance idéologique» et regrette l’inaction de l’administration.
Crachats, cours interrompus…
De plus, il affirme avoir subi des faits de harcèlement: croix gammées dans les toilettes avec son nom inscrit à côté, situées non loin du département de philosophie. «Ils apparaissaient de temps en temps sur la porte de mon bureau.» Une fois, raconte-il, ce sont des sacs d’excréments qui ont été déposés à l’entrée. «L’université est restée silencieuse.» Peter Boghossian s’est notamment fait connaître lorsqu’en 2018, il a co-écrit une série d’études absurdes publiées dans des revues scientifiques. Ce, afin de dénoncer la dérive de la recherche américaine actuelle.
Cours interrompus par un professeur ou des activistes ; portraits de lui portant le nez de Pinocchio distribués sur le campus ; crachats et menaces. «Des étudiants m’ont dit que mes collègues leur conseillait d’éviter mes cours.» Il conclut: «Il ne s’agit pas de moi. Il s’agit des institutions que nous souhaitons et des valeurs que nous choisissons. (…) En tant qu’individus, nous semblons incapables de nous souvenir de cette leçon, mais c’est pour cela que nos institutions éducatives existent: afin de rappeler que la liberté de questionner est un droit fondamental.»
Source : etudiant.lefigaro