La future loi «programmation de la recherche» prévoit de sanctionner les entraves aux débats dans les établissements d’enseignement supérieur, suscitant les réactions contrastées du monde universitaire.
Annulation de la conférence à l’université de Bordeaux de Sylviane Agacinski taxée d’«homophobie», d’une pièce d’Eschyle à la Sorbonne pour «blackface» , ou du débat à Sciences Po Lille incluant Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction du magazine conservateur Valeurs Actuelles: les exemples de polémiques sur des évènements dans l’enceinte de la faculté se multiplient. «La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres», enseigne le proverbe populaire. L’interrogation réside alors dans la délimitation de la liberté d’expression de chacun dans le cadre scolaire.
Un amendement de la future loi «programmation de la recherche» se propose de trancher. Ce texte, porté par la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, aborde la dernière ligne droite. Il a franchi avec succès l’Assemblée nationale et le Sénat, il est désormais validé dans sa forme finale par une commission mixte paritaire réunissant députés et sénateurs. Parmi les points sensibles du projet de loi, se trouve un amendement, ajouté en dernière minute.
L’entrave au débat érigée en délit
L’amendement 147, émanant du sénateur de l’Union centriste, Laurent Lafon, transforme en délit tout obstacle à un débat organisé dans les locaux d’un établissement d’enseignement supérieur. L’entrave correspond au «fait de pénétrer ou se maintenir dans l’enceinte» selon la disposition, et est punie d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende (trois ans de détention et 45 000 euros si cela est effectué en réunion).
D’après ce qu’a précisé le ministère de la Recherche à l’AFP, sont visés «tous les groupuscules extérieurs qui, en période de contestation étudiante, se greffent à ces mouvements et en profitent pour troubler l’ordre public au sein des universités». Jacques Smith, délégué national de l’UNI, syndicat étudiant de droite, abonde dans ce sens: «Les blocages sont antidémocratiques, une minorité agissante bruyante musèle la majorité silencieuse». Il poursuit: «Dans les assemblées générales, l’opposition est exclue, ceux qui expriment leur désaccord ne sont pas tolérés. Ils appartiennent au camp de la censure».
Le syndicat avait déjà soutenu une proposition de loi de 2018 dans le même esprit, sanctionnant les intrusions des individus internes comme externes à l’établissement. Celle-ci avait été avortée. Ce nouvel amendement représente alors «un moyen de rétablir la liberté d’expression, en contrant les professionnels du désordre», estime Jacques Smith. Celui-ci argue d’ailleurs: «Sur la seule année 2018, c’est près de 18 millions d’euros que l’État a déboursés pour réparer les dégâts causés par les blocages d’université, autant d’argent qui aurait pu revenir concrètement aux étudiants».
Une «fausse bonne idée»
Le délégué national de l’UNI ajoute que les présidents d’université, soumis à l’aval du préfet, peuvent déjà requérir l’intervention des forces de l’ordre, «une possibilité sous-exploitée à cause du manque de volonté cruel de ces responsables», accuse-t-il, «en espérant donc que cet amendement leur confère plus de courage».
Face aux propos acerbes de l’organisation syndicale, Pierre Denise, président de l’Université de Caen tempère l’impact de la disposition, la considérant plutôt comme une «fausse bonne idée». «Cela n’empêchera rien, et cela octroiera plutôt de l’importance à un phénomène marginal» commente-t-il. En quatre ans de mandat, il n’a connu qu’une occurrence de «censure»: le blocage par une vingtaine d’activistes d’une séance de cinéma du film J’Accuse, par le réalisateur Roman Polanski incriminé pour viol.
Il ajoute: «L’esprit de l’université se situe justement dans le débat, je privilégie l’échange avec ceux qui souhaitent l’empêcher, à l’emploi d’un nouvel arsenal législatif». «Si la loi n’arrangera rien, elle vise à garantir nos droits fondamentaux et je partage cette motivation. Bloquer un bâtiment ou empêcher un débat n’est pas un mode d’expression légitime», affirme finalement Pierre Denise.
«Une atteinte grave au droit syndical»
Plus que la mesure «contre-productive» décrite par le dirigeant de l’université de Caen, Mélanie Luce, la présidente de l’Unef, syndicat étudiant de gauche qui s’est souvent illustré par ses blocages d’universités, dénonce une «atteinte grave au droit syndical et à la démocratie». «On ne peut plus contester», s’indigne-t-elle. Et de surenchérir: «Criminaliser les actions d’opposition n’est jamais la solution». La présidente de l’Unef avoue «redouter les applications de cet amendement, qui mèneraient par exemple à interdire un envahissement d’un conseil d’administration, une pratique fréquente dans les facultés pour signaler une situation budgétaire regrettable».
Le projet de loi de programmation pour la recherche doit etre définitivement adopté dans les prochains jours, et ainsi découleront les applications du texte.
Source : etudiant.lefigaro