La filière équine a du mal à recruter. Les professionnels du cheval s’inquiètent et prennent conscience qu’ils doivent améliorer les conditions de travail des jeunes.
Des centres équestres mettront la clé sous la porte, faute d’enseignants qualifiés. Certains éleveurs, faute d’étalonniers, feront naître moins de chevaux. «On s’alerte et nos employeurs s’alarment», s’empresse d’exposer Tiphaine Drouot. Responsable du service Equi-ressources, la plateforme emploi et formation de l’IFCE (Institut français du cheval et de l’équitation ). «Le niveau du nombre de poste à pourvoir est historique», s’inquiète Jean-Roch Gaillet, président de l’IFCE, l’opérateur public qui accompagne la professionnalisation de la filière équine. Pour remobiliser la filière, l’IFCE et ses partenaires ont lancé lundi 11 octobre 2021 au Haras du Pin (Orne) «Le cheval recrute», une campagne de communication pour sensibiliser aux métiers équins.
Plus de 1000 offres d’emploi sont disponibles
La filière équine qui emploie 140 000 personnes en France, fait face à une pénurie de personnel sans précédent. Un enjeu fort, d’autant que la filière, qui pèse 14 milliards d’euros en France, a de véritables cartes à jouer. Début octobre, plus de 1000 offres d’emploi sont disponibles sur Equi-ressources. Un chiffre jamais atteint depuis le lancement de la plateforme, en 2007. Dans le même temps, le nombre de candidatures ne cesse de diminuer. «La profession doit se poser la question de son image. C’est notre rôle, à nous employeurs, de donner envie, de faire différemment. Si on ne se prend pas en main on n’aura plus personne». Franck Le Mestre, directeur général du Pôle international du cheval de Deauville (Calvados), se souvient de l’époque où 10 dossiers arrivaient sur son bureau pour une offre. «Aujourd’hui, c’est deux», lâche-t-il. En juin, son centre accueillait une journée découverte des métiers du cheval, en partenariat avec Equi-ressources et Pôle emploi, notamment. «Il faut ouvrir, montrer ce qu’on fait. Et aller chercher les jeunes, dès les stages de troisième», exhorte-t-il.
Le nombre d’offres d’emploi «enseignant d’équitation» a augmenté de 14% en un an
Comme le souligne le rapport 2020 de l’IFCE «Marché du travail dans la filière équine en France», les annulations de recrutement dans les cinq métiers les plus recherchés sur Equi-ressources ne cessent de croître ces dernières années. Faute de candidats qualifiés, les annulations passent de 8% en 2017 à 14% en 2019. Tous motifs confondus, les abandons passent de 21% à 23% sur la même période. «On observe un sentiment de démoralisation depuis trois quatre ans», poursuit Tiphaine Drouot. Pour la seule année 2018-2019, le nombre d’offres d’emploi «enseignant d’équitation» croît de 14%, quand le nombre de candidats postulants chute de 9 points.
Pourquoi les métiers du cheval ont-ils du mal à recruter?
Les raisons du désintérêt obligent la filière à s’interroger sur elle-même: pénibilité du travail, emplois précaires et un manque d’adaptation face aux aspirations des nouvelles générations. Cyril Clavel a cinq clubs (poney clubs et centres équestres) dans les Yvelines. «C’est la première année où j’ai eu autant de mal à recruter», explique le propriétaire qui a vu 4 enseignants sur les 14 qu’il emploie démissionner cet été. Selon lui, le Covid-19 a joué un rôle important. «Les gens ont découvert un nouveau mode de vie. Alors beaucoup d’anciens ont démissionné. Cette vague de départ n’a pas été compensée par des arrivées. Et dans le même temps, les Français ont (re)découvert les activités extérieures, donc nos clubs sont pleins.» Bon an mal an, Cyril Clavel recrute et fait appel à des enseignants free-lance. Un pis-aller.
Certains élèves sont usés
Les métiers du cheval ont une réputation difficile. Les salaires ne sont pas mirobolants, les conditions de travail demandent une bonne condition physique et, surtout, énormément de temps. «Le cheval ne se met pas sur stop quand on n’est pas là», badine Pascal Launey, chef d’établissement de l’École des courses hippiques Afasec de Graignes (Manche). D’où l’usure en entreprise que vivent certains élèves. À ce problème s’ajoute celui de l’invisibilisation de ces métiers. On ne voit jamais, par exemple, les cavaliers d’entraînement qui se lèvent aux aurores pour fouler les champs de course. Enfin, les perspectives d’évolution ne sont pas «très intéressantes», glisse un gérant de poney club.
Des métiers inconnus des orientateurs
Quid de l’orientation des élèves? «Nous sommes méconnus des orientateurs, pense Pascal Launey. Il y a moins de jeunes qui postulent à l’entrée de nos écoles.» Cyril Clavel poursuit: «On forme des gens qui ne veulent pas forcément faire ces métiers. Ils ont une vraie passion pour le cheval, mais pas pour l’enseignement.» Du côté du lycée agricole de Sées (Orne), si les aides économiques octroyées aux entreprises pour les inciter à prendre des alternants portent leur fruit, «des maîtres d’apprentissage ne trouvent pas d’apprentis», s’inquiète Ronan Daniel, formateur en hippologie. «On est bien conscient qu’il y a une baisse des vocations», conclut-il. À l’École du Pin (Orne), gérée par l’IFCE, le nombre d’étudiants par promotion baisse depuis plusieurs années. De plus, s’inquiète la responsable d’une Maison familiale rurale, octobre signe l’instant de vérité pour les apprentis: soit ils continuent, soit ils arrêtent car ils se rendent compte que ces métiers ne sont pas faits pour eux.
«On travaille en décalé, quand les autres ne travaillent pas : l’été, le soir, les week-ends. Les nouveaux sont plus réticents à ces grosses contraintes horaires»Cyril Clavel, directeur de poney club
La nouvelle génération est l’électrochoc dont avait besoin la filière pour se mettre à jour. «Les jeunes veulent donner du sens à ce qu’ils font. Quelle est notre promesse à l’embauche? Comment on peut améliorer leur temps de travail», s’interroge Franck Le Mestre. «La filière soit se mettre en phase avec leurs aspirations», conclut Tiphaine Drouot. Cela peut passer par la mise en avant du bien être animal. «Il faut qu’on montre que ce qu’on fait est bon pour le cheval», poursuit la responsable d’Equi-ressources. Cela passera aussi par la mécanisation et le bien être au travail. «Est-ce viable pour une jeune mère cavalière d’entraînement de se lever chaque matin à 4h et revenir à 19h le soir? La réponse est non», tance un acteur de la filière, rappelant que 60% des employés sont des femmes . «C’est terminé l’époque des passionnés corvéables à merci. Il faut que ça devienne un métier comme un autre», assure un autre. «On travaille en décalé, quand les autres ne travaillent pas: l’été, le soir, les week-ends. Les nouveaux sont plus réticents à ces grosses contraintes horaires. Et on en est conscient», explique Cyril Clavel.
Un spot pour donner envie aux jeunes
Pour pallier cette disparition des candidatures, Equi-ressources mise sur la communication. Un spot diffusé sur Youtube le 12 octobre annonce la couleur: «La filière équine recrute.» Le site va de même créer une rubrique spéciale qui mettra directement en lien les indépendants et les candidats. «Il y a 50 métiers. Les formations vont du CAP au bac+6. C’est pour tout le monde», assure Tiphaine Drouot. Les acteurs misent aussi sur l’intégration au concours d’Un des Meilleurs apprentis de France (réservé aux moins de 21 ans en formation initiale: CAP, BEP et Bac pro) de quatre nouveaux métiers de la filière pour la démocratiser davantage.
Source : etudiant.lefigaro