Au Figaro, des élèves de l’université parisienne racontent leurs difficiles premiers jours de cours.
Certains parlent d’une rentrée en «démerdentiel». Couloirs encombrés, amphithéâtres surchargés… Les images de la rentrée des élèves de Sorbonne Université, l’une des dix universités les plus demandées sur Parcoursup, ont fait le tour des réseaux sociaux. «Devoir se serrer ou s’asseoir par terre, avoir son ordinateur sur les genoux et le dos en compote, cela fait partie de notre quotidien», raconte Lola*, étudiante en deuxième année de Sciences du Langage à Sorbonne Université, sur le campus de Malesherbes (XVIIe arrondissement).
«En amphi, renchérit Élise, étudiante en première année de double-licence, le mètre de distance est impossible à respecter. Nous sommes les uns contre les autres.» Certains sont même obligés de suivre le cours au niveau de la porte et jusque dans le couloir.
Les salles bondées, rien d’inhabituel, affirme Manon. C’est le cas tous les ans. «Mais le contexte sanitaire nous angoisse. J’ai eu un cours dans une classe prévue pour 30 étudiants et nous étions 50. Les professeurs aèrent cinq minutes entre chaque cours mais les fenêtres ont un dispositif d’anti-suicide: elles sont très peu ouvertes.» L’étudiante en deuxième année de licence d’histoire, s’interroge : «Je ne suis pas sûre qu’ouvrir une fenêtre 5 minutes est suffisant pour un amphithéâtre de 300 personnes». Charles*, en troisième année de double licence d’histoire et de langue arabe, raconte: «Il y a des profs qui ironisent: ‘‘nous avons un cluster ici!’’. Mais ils se plaignent aussi».
«Nous manquons tragiquement de mètres carrés», se désole Alain Tallon, doyen de la Faculté de Lettres de Sorbonne Université. «Notre demande régulière d’une baisse de capacité d’accueil en raison du manque de place est systématiquement rejetée par le rectorat. Cela fait des années qu’il n’y a pas eu un centime investi dans l’immobilier universitaire. On en paie le prix aujourd’hui.»
Lola, elle, a le sentiment qu’aucune «mesure n’a été prise» pour respecter les conditions sanitaires. «Dans le hall, il y a deux minuscules distributeurs de gel hydroalcoolique et des affiches ‘‘masque obligatoire au sein de l’université’’». De nombreux étudiants se croisent dans les couloirs mais aussi, dans l’escalier ou à la cafétéria, alors qu’ils font la queue pour déjeuner. «Il y a à disposition quelques gels désinfectants pour les mains dans les couloirs mais la moitié sont souvent vides», affirme Charles qui a cours dans le bâtiment de la Sorbonne mère.
«Nous avons davantage d’étudiants cette année»
Le constat de Manon est sans appel: «C’est une belle catastrophe. Les universités ont fermé leurs portes pendant six mois: j’estime qu’ils avaient le temps de réfléchir à une solution plutôt que de laisser plus de 5000 élèves se croiser chaque jour dans un petit couloir», proteste-t-elle. Le doyen de la faculté de lettres se défend: «Nous ne savions pas avant la rentrée combien d’étudiants nous allions avoir puisque, en raison de ce qu’on appelle la procédure complémentaire, le rectorat nous affecte des élèves supplémentaires».
D’autre part, argue-t-il, «on nous oblige à faire du surbooking en première année. On nous répète que les étudiants ne viendront pas tous». Mais cette année aura été exceptionnelle. Les données ont changé. Lycéens et étudiants ont été «livrés à eux-mêmes» pendant des mois alors qu’éclatait au printemps dernier la crise sanitaire. «Ils ont envie de retrouver leurs enseignants», affirme Alain Tallon.
D’autant qu’en raison de l’annulation des épreuves écrites, le nombre de bacheliers a fortement augmenté cette année (pour rappel, le taux de réussite a grimpé à 95, 7% après rattrapage, un record depuis 1995). «Nous avons davantage de primo-entrants cette année. Nous n’avons pas encore les chiffres précis mais rien que sur la faculté de lettres, il y en a au minimum 700 étudiants de plus», confirme Alain Tallon.
Les enseignants avaient des listes d’étudiants incomplètes
Autre difficulté qui a bouleversé la rentrée de Sorbonne Université: un bug informatique de l’ENT, l’espace de travail interne qui permet aux élèves de s’inscrire en ligne aux différents TD. «Plusieurs universités ont décidé de faire une mise à jour de ce système interne», raconte un professeur. «La Sorbonne l’a fait juste avant la rentrée et ça a planté. Cela signifie que les enseignants avaient des listes d’étudiants incomplètes. On pouvait par exemple avoir une liste de 50 élèves et en voir 100 débarquer.»
En attendant de résoudre ce problème informatique, l’administration a encouragé les élèves à aller en cours. «Il vous est demandé de faire preuve de souplesse en les acceptant en TD», peut-on lire dans l’un des courriels envoyés aux professeurs par la direction générale.
«La règle, c’est le présentiel»
Lola regrette que l’université n’ait divulgué «aucune information de tout l’été». «Deux semaines avant la rentrée, nous ne savions toujours pas si les cours auraient lieu en présentiel ou non. Il y avait beaucoup de solutions», se désole-t-elle. Par exemple, note Lola, répartir les étudiants en plusieurs groupes, organiser des cours magistraux à distance. «Nous avons l’impression d’être complètement abandonnés. Certains d’entre nous vivent avec nos parents qui sont parfois fragiles. Nous avons peur de transmettre le virus à nos familles», conclut-elle.
«La règle, souligne Alain Tallon, c’est le présentiel pour tout le monde mais avec de la souplesse. S’il est impossible pour l’ensemble des étudiants inscrits de suivre un cours ou un TD dans de bonnes conditions, il faut réfléchir à d’autres solutions. Mais le présentiel doit rester la norme, il n’est pas question de rebasculer vers un enseignement généralisé à distance qui est un enseignement dégradé.»
«Le masque est une sécurité suffisamment importante»
Et lorsque la distanciation est impossible à respecter? «Dans les amphis surchargés, ce n’est pas idéal c’est évident. Mais on ne va pas refouler les étudiants qui viennent en cours. Je pense que dans aucune institution d’enseignement, on respecte la distanciation sociale.»
Le doyen de la faculté de lettres conclut: «Nous restons très vigilants quant au respect du port du masque. Nous sommes en contact régulier avec nos collègues de la faculté de médecine et les spécialistes d’épidémiologie qui nous disent que le masque est une sécurité suffisamment importante pour qu’on puisse, lorsque c’est impossible, ne pas respecter la distanciation.»
* Ces prénoms ont été modifiés
Source : etudiant.lefigaro