L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche a mené une enquête auprès des IEP à la suite d’une vague de témoignages d’étudiants victimes ou témoins d’agressions.
C’était en février dernier. Une vague de témoignages d’étudiants, témoins ou victimes d’agressions, avait déferlé sur les réseaux sociaux via le hashtag #sciencesporcs. L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (l’IGÉSR) publie ce 26 juillet une mission relative à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les Instituts d’Études Politiques (IEP).
Six inspecteurs ont enquêté au sein des IEP et des 7 campus de Sciences Po Paris. En tout, 312 auditions ont été conduites et 492 personnes ont été entendues.
Après plusieurs mois d’enquête et après avoir sollicité l’ensemble des dix IEP, la mission rapporte un total de 89 faits de violences sexistes et sexuelles connus des institutions, entre janvier 2019 et juin 2021. Un chiffre potentiellement plus élevé si l’on garde à l’esprit «l’omerta et l’entre-soi [qui] perdurent» et le fait que les victimes se confient «plutôt à des proches qu’aux dispositifs dédiés, lesquels ne sont pas toujours connus ou visibles».
Remarques sexistes, «blagues salaces», main aux fesses
Les situations remontées en direction des IEP sont en grande majorité «les faits les plus graves du point de vue pénal»: viols (46% de l’ensemble des faits) et agressions sexuelles (20%). Le harcèlement sexuel représente 5%. «Près de 17% des faits sont des propos sexistes ou des comportements inappropriés relevant de la catégorie des agissements sexistes qui peuvent faire l’objet de procédures disciplinaires.» Au total, 83% des faits de ces agressions «relèvent du code pénal s’agissant de crimes et de délits». La majorité (51%) des violences sexistes et sexuelles se produit «entre étudiants d’un même établissement».
Remarques sexistes, «blagues salaces», main aux fesses, baiser forcé, viol… Si la mission n’entend pas «trancher le vif débat de l’existence, ou non, d’une ‘‘culture du viol’’ dans les IEP», elle relève néanmoins l’apparition de «dérives» au cours d’événements d’intégration spécifiques aux écoles. En guise d’exemple, le «tournoi sportif» inter-IEP, le «CRIT», qui a lieu chaque année depuis 1986 et qui réunit pendant trois jours près de 3000 compétiteurs.
Régulièrement décrié par les étudiants, ce tournoi se caractérise par «une consommation excessive d’alcool», pointe le rapport. Aussi est-ce au cours de cet événements qu’ont eu lieu des «pratiques sexistes comme le ‘‘grand chelem’’ qui visent à avoir des relations sexuelles avec une étudiante de chaque IEP, des attouchements répétés sans consentement réalisés à l’occasion d’éventuels défis, des faits multiples de harcèlement, etc.», indique la mission. «La majorité des directeurs d’IEP serait manifestement soulagée si le CRIT était interdit par le ministère de tutelle.»
Le recours aux procédures disciplinaires «apparaît très limité»
Le système de tutorat (qui officialise le parrainage d’un nouvel entrant) a pu, lui aussi, être détourné. «Ainsi, au sein d’un établissement, le trombinoscope des étudiantes et étudiants de première année a circulé à des fins de parrainage, et les filleules ont été choisies et ont fait l’objet de défis.» Les week-end d’intégration sont aussi pointés du doigt. Le rapport relève la «pratique des tribunaux»: le «tribunal des salopes», le «tribunal des bretons» (la personne jugée doit avaler une plaquette de beurre) ou encore, une autre pratique «comme celle de l’appel des participants selon qu’ils ont couché ou pas couché». Il apparaît qu’en réalité, «sous prétexte de pseudo-traditions se cachent des pratiques de bizutage auxquelles».
Le signalement au procureur de la République de «faits susceptibles de recevoir une qualification pénale est insuffisamment exercé», pointe la mission. Sur les 89 faits remontés aux directions, dont 69 peuvent recevoir une qualification pénale, seules 38 ont fait l’objet d’un signalement au procureur.
La mission remarque que le recours aux procédures disciplinaires à la suite de signalements «apparaît très limité au regard de la gravité des faits». Seules 14 procédures ont été engagées, soit environ 16% du total des cas. Au JDD , la ministre de l’Enseignement Supérieur Frédérique Vidal explique: «Les membres des commissions disciplinaires sont plus habitués à traiter des problèmes de plagiat ou de fraude à l’examen que des faits de violences sexuelles. Ils doivent donc être formés.»
La mission propose 38 recommandations
Les enquêteurs font état d’un accompagnement institutionnel «souvent défaillant» et «rarement structuré». Les témoignages recueillis évoquent l’inaction des directions, un manque de professionnalisation et de transparence dès lors que la victime est prise en charge par l’établissement. «Les personnes en charge des cellules en interne méconnaissent le plus souvent les réseaux d’associations d’aides aux victimes existants.»
La mission d’inspection générale formule en tout 38 recommandations dont la majorité a vocation à s’appliquer à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur. Toujours au JDD, Frédérique Vidal affirme préparer un «plan national de lutte pour la rentrée». «Il comprendra un important volet de formation, national ou local, destiné aux directeurs, aux personnels et aux étudiants, avec un budget dédié.»
Source : etudiant.lefigaro