Les écoles de commerce et les entreprises plébiscitent les entretiens vidéos différés. Les étudiants sont nettement moins enthousiastes, jugeant ce procédé «pas humain».
«J’ai tout fait pour me mettre dans les conditions d’un vrai entretien». Un matin du premier confinement, Paul*, 24 ans, élégamment vêtu d’une chemise et d’une veste de costume, passe un entretien pour intégrer le master entreprenariat de l’Edhec, une école de commerce. Devant son ordinateur, il répond à des questions, s’enregistre et poste le tout. À la différence d’un entretien de motivation classique, il n’aura vu personne, ni en réel ni en virtuel. Lors de l’EVD (entretien vidéo différé), le candidat doit s’enregistrer en répondant à une série de questions prédéfinies. La durée des réponses filmées est réduite à une minute, une minute trente
Ce concept, né aux États-Unis à la fin des années 2000, est arrivé en France en 2014. La crise sanitaire a confirmé la tendance. Gonzague Lefebvre, fondateur de VisioTalent, qui sous-traite des EVD pour les entreprises et depuis 2015 pour des écoles de commerce comme Skema, Neoma ou l’Iéseg confirme. Son entreprise a doublé son nombre d‘EVD en 2020, atteignant les 200 000 certains mois, pendant le confinement.
Une façon de tester la rapidité de la réflexion
«Ce système fait gagner un temps fou, analyse Jean-Baptiste Pasquier, cofondateur de BeeReady, plateforme d’entraînements aux EVD. C’est un gain de temps et un gain économique car cela prend moins de temps. De plus, cela permet aux entreprises ou aux écoles de «voir» plus de candidats. Enfin, ce système peut redorer l’image d’une entreprise vieillotte.»
Une formule appréciée des grandes écoles. C’est le cas de l’Edhec, qui utilise la plateforme Kira, pour les admissions des candidats internationaux. «C’est une bonne façon de tester la rapidité de la réflexion, la cohérence des réponses et la motivation à nous rejoindre», assure Michelle Sisto, directrice de la grande école et des MSC. Pour l’instant, ce dispositif n’a pas vocation à être élargi aux candidats français. Ce qui n’empêche pas l’Edhec de former les étudiants une fois à l’école à s’entraîner à ce type d’exercice pour les préparer aux entretiens professionnels. À l’Iéseg, il existe des cours pour ça. «C’est un mode de recrutement de plus en plus pertinent, surtout dans le contexte actuel», assure Valérie Marragou, responsable du Career center program des campus de Lille et Paris.
«Ce n’était pas ludique, pas humain»
C’est peut-être un gain de temps pour les écoles et les entreprises, mais est-ce une bonne chose pour les étudiants? Pour Gonzague Lefebvre, la vidéo peut sauver des candidats: «30% d’entre eux n’auraient pas été recrutés uniquement sur leur CV, selon une étude que nous avons menée». «Ceux qui sont à l’aise face à la caméra peuvent se mettre en valeur plus facilement qu’avec un simple CV» , constate Jean-Baptiste Pasquier.
Toutefois, les jeunes ne sont pas tous emballés par cette nouvelle méthode de recrutement. «Même en m’étant préparée psychologiquement, j’ai trouvé ça très surprenant, témoigne cette étudiante de 23 ans qui a intégré l’école de commerce d’une université londonienne. C’est hyperstressant, surtout de voir le temps défiler.» D’autant qu’à la simple épreuve orale s’ajoutent des considérations techniques. «J’étais dans mon salon, devant un fond neutre. Ce qui est important, c’est la bonne hauteur de la webcam. Et j’ai mis des livres sous l’ordinateur pour que ce soit stable», témoigne-t-elle, après avoir précisé préférer, de loin, le contact humain.
Paul qui l’a passé pour l’Edhec est catégorique: «Ce n’était pas humain», lâche t-il. «Je trouve que ce format pousse à des réponses hâtives, pas naturelles», dit-il. Le fait de ne pas avoir une véritable discussion avec un membre du jury, ou de ne pas pouvoir approfondir une idée l’a perturbé, sans oublier la connexion qui a flanché. Il reconnaît malgré tout avoir été moins stressé, «car n’avoir personne en face de soi évite le jugement direct du jury, qui peut déstabiliser».
Même si cette méthode peut manquer de chaleur humaine, il faudra s’y habituer, même après la pandémie. Un système qui va se perfectionner avec les progrès de l’intelligence artificielle notamment. Ainsi, une entreprise russe a inventé un robot, Vera, qui sélectionne les CV, appelle les candidats en vidéo et analyse leur comportement, le rythme et les mots utilisés. Un outil qui n’est pas encore utilisé en France….Pour l’instant. «On ne le fait pas, écarte Gonzague Lefebvre. Ça génère peu de performances, voire de la discrimination.»
Source : etudiant.lefigaro